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Derrière les barreaux en Argentine, puis face caméra dans le documentaire Reas, aujourd’hui sur scène au Festival d’Avignon : si les six ex-détenues réunies par Lola Arias ont quitté les marges et rejoint le circuit culturel, elles ne rentrent toujours pas dans le cadre. Les voilà posant en tenue de soirée devant un rideau pourpre, ni danseuses, ni chanteuses pros, mais pourtant très à l’aise sur les planches. Prénom, âge, lieu de naissance, délits, allers-retours en prison : d’emblée, leurs destins se déclinent en quelques mots. Puis, avec dérision, elles divulguent le décompte de leurs jours, non pas de détention, mais depuis leur remise en liberté – de 864 à 1518. Des chiffres qui agitent les troubles du passé face à l’incertitude du futur.


Avant de les mettre en scène, l’Argentine Lola Arias a filmé Yoseli, Nacho, Estefania, Noelia, Carla et Paula, femmes cisgenres ou transgenres, pour témoigner de leur vie « à l’intérieur ». La seconde étape de ce projet les amène aujourd’hui à tourner sur les scènes européennes avec un show musical, Los días afuera – « les jours dehors » – qui conjugue l’expérience carcérale avec son avant et son après. Coïncidence du calendrier culturel : Jacques Audiard mêle aussi crime, Amérique latine, transidentité et comédie musicale dans son dernier film, Emilia Pérez, et le récent documentaire Transfariana de Joris Lachaise, liant questions LGBT et lutte des FARC en Colombie, tourne toujours en festival. Au sein de ce trio déjà pétaradant, Los días afuera demeure une sympathique entreprise, mais pêche par la sagesse de ses choix formels et thématiques.



"Los dias afueras" de Lola Arias © C Raynaud de Lage



Pourtant, la metteuse en scène a sorti le grand jeu. Une fois passé les présentations, le rideau dévoile une scéno rutilante : structure métallique avec échelle, escaliers, poteau de glisse, des écrans pour les séquences filmées et, incontournable depuis la saison dernière (chez Carolina Bianchi ou Gisèle Vienne), une bagnole stationnée à cour. C’est sur ce terrain de jeu que nos protagonistes donnent corps à leurs propres récits avec une énergie complice, propre à réchauffer le plateau. Et la formule de Lola Arias est efficace : d’un côté, des conversations couvrent les mille défis de la vie post-taule – entretien d’embauche, travail au noir, agressions –, et des pastilles chorégraphiées enrobent le tout façon music-hall. C’est fluide, soutenu par une pyrotechnie pop que l’on soupçonne sous influence « clips vidéo des années 2000 », et le public joue le jeu sans difficulté.


Seulement, sous les fanfreluches, ce cadre laisse peu de place à la subversion de ses propres codes. Trop calibrée, la mise en scène de Lola Arias manque de relief, à l’inverse des vécus tout sauf convenus qu’elle nous livre. Si elle prend soin de ne jamais donner dans le voyeurisme social, la pièce n’aborde les existences liées à la prison que sous des angles déjà bien poncés : familles déchirées, trafic de stup’, violence, réinsertion et diverses stigmatisations. La singularité, l’intimité, ne s’y frayent un chemin qu’entre les lignes, via la radieuse générosité de ses personnages. Une anecdote sur les communications clandestines entre cellules, une autre sur les soirées films d’horreur, laissent deviner des espaces de liberté bien à soi. Quelques numéros musicaux donnent aussi à voir des personnalités uniques : Paule dans une cumbia romantique, Noelia en plein ballroom voguing. Ces petits éclats pointent pourtant un autre oubli : celui d’un point de vue réflexif sur l’engagement des protagonistes dans le projet artistico-documentaire lui-même. Que retirent-elles de l’expérience ? Leur réalité en sort-elle transformée ? Il faut se contenter de leur présence sur scène comme témoignage d’une détermination à se faire une place au soleil – ou du moins, sous les feux des projecteurs – et cela force déjà le respect.


Los días afuera de Lola Arias a été présenté du 4 au 10 juillet au Festival d’Avignon 


--> du 3 au 5 octobre dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de la Ville, Paris

--> du 17 au 19 octobre dans le cadre du festival Sens Interdits au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon

--> les 6 et 7 novembre dans le cadre du Festival d’Automne à la MAC Créteil

--> les 14 et 15 novembre dans le cadre du Next Festival à La Rose des vents Scène nationale de Lille Métropole, Villeneuve d’Ascq

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