Depuis combien de temps sont-ils là, dans leur petit peignoir de boxe satinés, à épuiser leurs forces à des mouvements mécaniques dans un quasi sur place ? Depuis combien de temps subissent-ils l’assaut répété de ces sonneries industrielles stridentes ? Admettons que cela fait longtemps, et que l’entrée en salle des spectateurs annonce, pour ces sept pantins détraqués, le moment de trouver une échappatoire. Il n’y aura pas de libération : les gestes de chacun, 1h20 durant, resterons anguleux, saccadés, répétitifs, mais dans leur profusion et leur multiplicité ils ne cessent de déborder pour ouvrir un espace un peu plus grand dans lequel respirer.
Quand les percussions s’enveloppent d’une première chanson, Betty Tchomanga monte sur l’estrade aux allures de ring qui se dresse au centre du plateau. À partir de là, la pantomime initiale se métamorphose en une complexité hallucinatoire de déplacements et d’actions qui célèbrent tous les muscles, des orteils à la langue. Dans cette pièce de 2014, remontée à l’occasion du portrait que lui consacre le festival d’Automne à Paris, Marlene Monteiro Freitas développe une fois de plus un vocabulaire d’une richesse inouïe, et de fait, inconsommable. Les spectateurs se penchent vers l’avant de leur siège, comme hypnotisés par ce qui se joue sur scène, mais leur concentration ne pourra épuiser le foisonnement de cette fresque qui ne cesse de s’épaissir de détails mouvants. Ici, tout est danse : le circonflexe d’un sourcil, le grotesque d’une grimace, une démarche animale, un aria d’opéra, une course sur le cul, un concert de rock, une blessure, un rire, l’attente aussi. Et cela n’a rien à voir avec une quelconque intention de « faire joli ». L’écriture de la chorégraphe capverdienne ne sublime ni ne distingue, elle s’ingénie au contraire à construire un plan d’égalité entre les interprètes, les gestes et les références, sans jamais les neutraliser, ni aplatir les différences. D’ivoire et chair n’en est pas moins absolument virtuose, seulement cette qualité n’est pas là pour faire autorité, mais pour célébrer, ce que peuvent les corps, aussi et depuis la contrainte. C’est sans doute ce qui rend la joie offerte par ce spectacle si lumineuse.
> D’ivoire et chair de Marlene Monteiro Freitas a été présentée du 2 au 5 novembre au Théâtre public de Montreuil, dans le cadre du portrait que lui consacre le Festival d’Automne à Paris
> À lire, l'interview de Marlene Monteiro Freitas dans le n°115 de Mouvement
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