Le titre de la pièce l’annonce sans détour, Les Saisons d’Hugo Mallon est directement inspiré du roman de Maurice Pons. Mais lorsque cinq comédiens en imper’ et bottes de pluie se plantent à l’avant-scène devant un rideau fermé et dégainent chacun leur exemplaire du bouquin, le temps promet d’être long. Scolaire et appliquée, la lecture commence. Nous voici plongé.e.s dans la vie d’un village sans nom, sa pluie continue, ses lentilles pour seule victuaille. Malgré le récit chargé d’images, les corps statiques qui déclament en rang d’oignons chatouillent l’ennui et rappellent désespérément les penchants les plus classiques du théâtre français. La monotonie de cet incipit opère si bien que l’ouverture du rideau sur une place de village semble relever de l’intervention divine.
En un claquement de doigts, le récit porté par les mots se matérialise sous nos yeux. Tout y est : la miteuse baraque qui fait office de bistrot, la pluie, le brouillard et son humidité palpable. Dans ce paysage sinistre, un certain Siméon à l’allure enjouée fait irruption et illumine le plateau. Poète en quête d’inspiration, le nouveau venu entend bien s’implanter dans la vie du village. L’atmosphère déjà cinématographique l’est un peu plus encore avec la projection en fond de scène d’images tournées sur le plateau par une caméra embarquée. Plus qu’un artifice pour aller regarder côté hors-champ, le recours à l’image filmée augmente impeccablement l’impression de décalage et d’irréel qui se dégage déjà de l’action se déroulant sous nos yeux.
Tenir les lignes
Depuis la scène, depuis l’écran, les premiers échanges entre « l’étranger » et les quelques âmes errantes du petit bourg se mêlent aux pensées de Siméon lues à haute voix dans son journal intime. À cela vient s’ajouter la narration externe, prise en charge à tour de rôle par chaque comédien. Ce sont donc les mêmes silhouettes maussades, trempées jusqu’aux os, qui incarnent les villageois désabusés et portent le récit du village dont la narration semble elle-même embourbée dans cette atmosphère putride. L’humidité ambiante imbibe chairs et tissus, et s’infiltre jusque dans les humeurs. Dans ce huis clos fermé par des murs de brume épaisse, où les rapports sont brutaux, agraires et bestialement cramponnés à la maigre consolation de l’habitude, l’action est rythmée par une dégringolade des comportements aussi glauque que jouissive portée par une clique de jeunes comédien.ne.s hypnotisant.e.s. Mais au-delà du récit d’un étranger idéaliste débarqué chez les résignés, Les Saisons d’Hugo Mallon conserve avec minutie la construction littéraire du roman de 1965. Par le recours aux outils croisés du cinéma et du théâtre, la pièce offre bel et bien la mise en scène d’un roman en tant qu'œuvre littéraire et non l’adaptation d’un texte par sa réduction à l’état de synopsis.
> Les Saisons (roman-performance) d’Hugo Mallon, du 22 mars au 2 avril à La Commune, Aubervilliers
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