CHARGEMENT...

spinner

Tournant 2020, Guillaume Cayet se trouve à un carrefour entre deux mondes. Celui de sa mère, fait d’immersion quotidienne dans les sous-bois de la forêt vosgienne, entre les charmes, les hêtres et le bruissement des chevreuils. Et celui de son fils, germé sur le terrain de l’anthropocène et charriant toutes les inquiétudes d’un horizon qui tarde à se montrer. Entre l’héritage reçu et celui qu’il reste à constituer, le metteur en scène à peine trentenaire en appelle aux esprits de la forêt pour trouver matière à espérer. Et puisque le chantier est de taille, l’heure n’est plus aux querelles de chapelle : réunis sous la canopée, tous les bras sont les bienvenus, du vieux chasseur aux zadistes à coupe sidecut, du grand tétras au léopard des neiges. 


Tout droit sortie d’un conte pour enfant téméraire, une silhouette d’homme-sanglier fend la brume. Là, planté entre le parterre de mousse et les nébuleuses de résineux, le vieux chasseur retrace l’ultime traque avec ses colègues, avant que des machines boulimiques pilotées par des cols blancs ne viennent tout raser. Oubliez le social porn et les condescendances bourdieusiennes, ici la forêt et ses hôtes se racontent à la première personne, avec la justesse et l’irrévérence de ceux qui témoignent de première main. Du petit canon sur un coin de toile cirée aux conneries échangées dans le 4x4 qui mène à la parcelle, le monde rural s’invite au théâtre dans ses habits du quotidien, trop occupé à défendre ses terres pour assurer la classe verte. 


Devenir bêtes 


À la seule force d’une langue précise et fertile à l’imagination, le chasseur-conteur, d’abord seul en scène, convoque pisteurs, arbres et gibiers au fil d’une traque épique. Autour de lui, une scénographie sylvestre aux allures de gravure ancienne parachève le tableau. Dans cet écrin fantastique, loin des calculs de bureaucrates, la forêt règne en maître et tous ses enfants sont adelphes. Par une fine alternance de fables et de scènes de vie, Le Temps des fins donne corps à une société des sous-bois où militant·es écolos, régulateurs de sangliers et disciples de Gaïa font enfin front commun. Devenu coq de bruyère, ourse ou panthère, le peuple forestier s’organise sur Telegram et révise ses déplacements collectifs. 




©Christophe Raynaud de Lage




Par la scénographie léchée et la puissance du récit, le premier tableau de ce Temps des fins rapproche cérémonies animales et actu environnementale – la lutte et l’utopie en un seul geste. Dommage alors que la pièce troque à mi-parcours son inspirante fantasmagorie pour se rabattre in fine sur le réalisme plat d’une vie de famille. Le survivalisme d’un père, l’ésotérisme d’une mère et l’éco-anxiété d’une fille se partagent une petite table de cuisine dans un léger fumet didactique. De retour dans la lumière crue du présent, du trou dans la couche d’ozone et de l’empreinte carbone, une nostalgie pointe déjà. Celle du futur sur lequel planchaient Panthère, Ourse et les autres – ces militants pour la protection de la forêt devenus animaux. Et tant pis si l’utopie n’empêche pas l’arrivée des bulldozers : puisque la forêt brûle, couvre ta bouche et va chercher de l’espoir. 

 


Le Temps des fins de Guillaume Cayet a été présenté les 11 et 12 février à la Scène nationale de l’Essonne, Ris-Orangis 


⇢ le 4 avril àl’Espace 1789, Saint-Ouen
⇢ du 12 au 17 mai au Théâtre de la Cité internationale, Paris 

Lire aussi

    Chargement...