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« On aimerait faire de la poésie, parler des p’tits oiseaux, mais on ne peut pas », lance Laurène Marx en préambule de sa nouvelle création, avant de se retirer de scène. Le ton est donné. En 2023, l’auteur-interprète se donnait corps et âme pour dire son vécu de femme trans dans Pour un temps sois peu, un seule en scène qui fait toujours trembler les plateaux. Mais sa nouvelle création la voit reléguée au rôle d’autrice et metteuse en scène. À sa place, pour lui donner voix, Jessica Guilloud. Et ce déplacement ne fait que renforcer l’axe principal de son travail : l’intime est – plus que jamais – politique.


Laurène Marx transfère cette fois-ci son histoire – ou partie – sur une interprète. C’est l’histoire de Jess aka Jag, qu’il est tentant d’aborder comme un double fictionnel même si tout ne les relie pas. En voiture sur le chemin retour de la gare de La Tour-du-Pin, elle traverse les paysages de son enfance. Au volant, sa mère la harcèle de questions. Sa chienne, Johnny, se tient silencieuse sur la banquette arrière – celle-ci est son alliée pour affronter les âpretés du réel. Les engueulades fusent avant d’arriver à la maison. Entre Paris et la commune iséroise, les visions du monde s’entrechoquent. Seule en scène, Jessica Guilloud déplie des cartes postales de cette enfance rurale : le parking du supermarché, la Poste, la maison d’une tante dépressive, les déjeuners avec un oncle neuro-atypique, une soirée arrosée. Autofiction ou autobiographie ?


Qu’importe, le récit habite Jessica Guilloud, qui nous le fait presque palper. À la fois stand-uppeuse et chanteuse, elle campe derrière son pied de micro, seule protection face au public. Dans une grande simplicité, Jag dévoile sa trajectoire transclasse – entre mélancolie, internalisation du mépris de classe et plaisir de chanter « La grosse bite à Dudule ». Absent du plateau, le canidé Johnny est pourtant omniprésent. Et il y a un peu de Thelma et Louise dans le duo qu’elle forme avec Jag. S’en dégage une sororité face aux épreuves et aux burnouts d’une vie passé à rassembler des moutons et à résister aux dominants – maîtres, patrons ou maris. En partant de cette solidarité humano-canine, d’autres alliances entre les marges et les générations se dessinent aussi. Celles-ci se soudent en dansant sur Pirate des Caraïbes dans une ultime fête de village qui réconcilie – peut-être – classe et genre.


Jag et Johnny de Laurène Marx a été présenté au festival Cité, Lausanne (Suisse)

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