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Deux lesbiennes sont sur un tracteur, l’une porte un joli mulet et une chemise de bucheronne, l’autre un costume de vache laitière et des bottes assorties. Devant les spectateurs, la metteuse en scène star Rébecca Chaillon emménage chez sa compagne « néo-rurale », mère de trois enfants qu’elle élève en co-parentalité avec son ex. Il y a de quoi avoir le trac. Sur le plateau, l’installation prend des airs de sketch : les outils glissent des mains, le papier peint rococo est collé à la hâte et les étagères à peine installées semblent déjà prêtes à déborder. Le duo Rébecca Chaillon et Sandra Calderan tient en équilibre et s’aime tout en maladresse.

 

Loin de la métropole, Sandra Calderan couve un projet de « gouineraie » : une communauté queer qui voudrait élever de la marmaille en collectivité. Par amour, Rébecca Chaillon, « gouine des villes » auto-proclamée, la suit dans son aventure. Elle prévient tout de suite le public : ça part mal. Elle tourne trop, elle ne voit jamais sa conjointe et elle n’a même pas eu le temps d’apprendre son texte. Sandra Calderan confirme, elles partagent une journée par mois, et encore, les bons mois. À la campagne comme à la scène, le couple entame une véritable odyssée : construire un foyer malgré leurs modes de vie très différents. 

 

Rébecca Chaillon nous avait habitués à des mises en scène plus léchées : cette fois – peut-être pour coller avec son life-style de rock-star en tournée permanente –, l’organisation de la scène est plus chaotique. Des étagères en bois brut, des tours de kapla, du foin, une guirlande lumineuse et les livres mauves de la collection féministe des éditions Points. Cette maison, Sandra Calderan l’a construite elle-même. Elle l’a pensée comme un espace à soi, un lieu intime pour réinventer l’amour et la famille. Rébecca Chaillon, hilarante comme à son habitude, avoue être terrifiée. Et si emménager avec son amante caucasienne signifiait abandonner ses rêves de black love ? Et si s’installer dans ce bled paumé faisait d’elle une normie ? Et si, au contraire, elle n’était pas prête à accepter de vivre en communauté ? Ou à entendre parler de polyamour ? Et si elle n’était pas si déconstruite que cela ? 

 

Dans le potage jusqu’au cou

 

Pour vider son sac, Sandra Calderan n’est pas en reste. Elle confie : parfois quand elle s’approche d’eux, ses enfants ont un mouvement de recul. Parce que oui, quand on est mère célibataire, on finit souvent par craquer et céder à la violence. Ce n’est un secret pour personne mais c’est un tabou pour tout le monde. Sandra Calderan n’en est pas fière, mais elle pense que le dire est nécessaire et politique. Exit les discours lisses sur la charge mentale, ici on est dans le réel. Face à face et sans tourner le dos au public de voyeurs que nous sommes, elles sautent dans le vide en se tenant la main. Le duo tente l’aventure de la maison familiale, une télé-réalité qui pourrait s'intituler : « advienne que pourra ». 

 

Queer ou moins queer, en co-parentalité, en trouple ou en couple exclusif, le besoin d’un pied-à-terre est universel : a place to call home. La Gouineraie met les deux pieds dans le plat – la moitié de la pièce se déroule à table, espace allégorique favori de la metteuse en scène et haut-lieu de tensions familiales – et fait le récit sensible et drôle d’un couple qui emménage sous le signe du bricolage. On ne raconte pas la fin mais, fidèle à elle-même, Rébecca Chaillon aime nous choquer. Sur scène, elle a déjà mangé de la viande crue ou s’est baignée dans de la javel. Cette fois encore, elle clôture le spectacle avec une pièce de boucher, de la nudité et du lubrifiant Durex. Mais au fond, la vraie prise de risque n’est pas là car il faut bien plus de courage pour laver son linge sale en public. Méfiez-vous de ceux qui vous annoncent tout sourire et sans trembler leur achat d’appartement ou leur prochain mariage : des doutes, on en a tous. 



La Gouineraie de Rébecca Chaillon et Sandra Calderan a été présenté les 10 et 11 janvier à la Maison des Métallos, Paris. 

⇢ les 12 et 13 février au Théâtre des Avant-Postes, Bordeaux

⇢ les 14 et 15 mai au T2G à Genevilliers  

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