À l’entrée d’un chapiteau, sur une table, plusieurs masques de volatiles font de l’œil aux spectateur·ices. Une fois enfilés et à peine installé·es, un personnage-corbeau s’envole dans les ombres du plafond et s’installe sur son perchoir. Avancez de quelques pas dans une galerie des glaces où des comédien·nes masqué·es vous attendent en cercle comme des vautours. Dans ces couloirs, les miroirs bougent et composent des cellules transparentes dans lesquelles ces hommes-oiseaux s’isolent, se dévêtissent et tapent la pose sous une lumière ocre. Bienvenue dans la dernière hallucination des Frères Forman - troupe tchèque réputée pour ses shows en costumes à l’esthétique ultraléchée.
La Conférence des oiseaux tire sa trame d’un conte persan signé Farid al-Din Attar. Dans le récit, un gang d’individus hybrides mi oiseaux mi pèlerins suit la prophétie d’une huppe prédicatrice et partent à la recherche d’un roi disparu, allégorie du bon chef. Leur voyage est pavé de rencontres avec des saints et des fous, et se construit peu à peu en parabole de la vie humaine. Sur le chemin, chacun incarne une des nombreuses tares de l’homme : l’orgueil du paon, la peur de l’inconnu du canard, le matérialisme du perroquet, la paresse du rouge-gorge, le doute de l’hirondelle. Avec de tels caractères, ce chemin s’annonce difficile. Sur scène, cette débandade prend forme dans des tableaux éclatés : à gauche, un oiseau reste figé, envoûté par son propre reflet dans un miroir ; à droite, un autre se laisse glisser au sol, comme s’il refusait d’avancer.
Du texte d’origine, les Frères Forman tirent un décor orientaliste : des tapis persans suspendus en nappes reliées en hauteur, des arches délimitant l’espace scénique… Des masques et des costumes foutraques donnent dans l’inquiétant : becs trop longs, ailes rapiécées, plumes mitées. Devant un écran sur lequel défilent des paysages artificiels — forêts en sursaturation, cieux photoshopés, cascades aqueuses numériques — les oiseaux se bousculent, s’imitent, se répondent en gloussements et caquètements, assaillent soudainement le public dans les gradins, bec en avant et yeux cernés de noir.
Au cours du voyage, leur quête prend un sens plus profond : trouver un roi, un guide capable d’apaiser leurs peurs et de donner un sens à leur vie. Le roi existe en fait en chacun d’eux, un fantasme qui devient le miroir de leurs espoirs collectifs. Sous ses dehors de spectacle jeune public, cette fable douce-amère s’achève sur une vérité implacable : pour voler plus haut et s’élever, il faut accepter de se dépouiller de nos certitudes, abandonner notre petit confort. Et cela, les oiseaux — comme nous — ne sommes pas tous prêts à l’accepter.
La Conférence des oiseaux du Théâtre des Frères Forman, du 28 avril au 3 mai à la Maison de la culture de Bourges.
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