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« Précédemment, dans l’Apocalypse… » : la phrase et le procédé narratif sont désormais bien connus. N’empêche que les choses se corsent légèrement quand, en guise de récap introductif, l’acteur-metteur en scène – postiche blonde-platine et fausses dents d’intello cringe – compile des extraits d’articles écrits sur ses précédents épisodes, jouant à toute balle le plaisir certain qu’il a de les tourner en ridicule. Le piège est déjà tendu pour les journalistes mais, rira bien qui rira le dernier, il ne tardera pas à se refermer sur tout le monde.


Il fallait sans doute s’y attendre. Après avoir déplié les sept messages de Saint-Jean dans l’épisode 1 (Le début de la fin) et s’être appliqué à mettre en scène l’irreprésentable de la fin du monde dans l’épisode 2 (Les Adieux), Louis Bonard nous embarque cette fois dans le Règne du mal, fagoté d’un petit pyjama en satin et d’une veste rose Barbie. La scénographie géométrique modulable des précédents épisodes, clin d’œil aux architectures de Magritte ou aux impossibles escaliers d’Escher, est ici intégralement enfouie sous de larges drapés rouge vermillon. Au rythme des effets de son et lumière, cette atmosphère baroque au kitsch assumé tend tantôt du côté de la maison hantée, du cabaret désuet ou du plateau télé.


En miroir à ce changement de décor, le rire que cherche à provoquer l’auteur swich lui aussi de registre : il se fait à son tour plus sourd, capiteux et grinçant, alors qu’il était jusque-là piquant et savoureusement ironique (histoire de désamorcer ce qu’il y aurait pu avoir de professoral à s’emparer d’un texte biblique ou à se prendre pour un prophète). Manipulateur et séducteur, tel certains visages du diable, Louis Bonard convoque progressivement les petits débris d’enfer qui jalonnent nos vies – musiques qui bouffent le crâne, notifications WhatsApp, souvenirs gênants de réunion de famille – avant de devenir plus insistant, déclenchant l’hilarité en calquant sur des blagues potaches l’imparable ressort du comique de répétition, le tout pour mieux nous coincer d’un « le rire n’est pas la solution à tout ». Bien vite, le décor de maison hantée se change en montages russes de sensations pour le spectateur : les moments d’émotion au premier degré – le temps d’une reprise piano-voix de « Smalltown boy » notamment – se muent en grincements de dents, les espaces d’interprétation de la pièce sont refermés d’un coup sec lorsque Louis Bonnard livre le seul et unique sens de sa proposition : « L’enfer, c’est les regrets. C’est entre nous, ça circule », et si vous êtes l’élu, c’est pour mieux vous déposséder de votre libre arbitre.  


Dans cette pièce-purgatoire qui joue de notre mise en tension à force de ne jamais vraiment commencer, et de s’y prendre à plusieurs reprises pour finir, ces oscillations permanentes de tonalité insufflent du mouvement et nous obligent à prendre position : ça passe ou ça casse, ça rigole ou ça agace, Satan séduisant ou repoussoir, pour ou contre, finirez-vous dans la salle ou sur scène ? Mais diviser, c’est précisément ce que cherche Louis Bonard : si les camps du mal et ceux du bien ne sont pas formés (quoi que cela veuille vraiment dire) le combat final ne peut pas avoir lieu. 

La suite, dans le prochain épisode. 


> L’Apocalypse, épisode 3 : Le Règne de Louis Bonard a été créé du 6 au 9 octobre à l’Arsenic, Lausanne