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Lorsque Moha confie son rapport au corps, à son « corps gros », que les femmes ne regardent pas, il est en bord de scène, à deux centimètres du vide, et la gêne est palpable dans la salle. Il se tient droit. Son ventre est camouflé par une superposition de t-shirts de sport. Derrière lui, son groupe de copains ricanent, se frottent le crâne d’embarras. Avec La Tendresse, Julie Berès nous met face à ce qui, visiblement, demeure tabou : la fragilité des hommes. Pensée en collaboration avec la romancière Alice Zeniter et les fidèles Kevin Keiss et Lisa Guez, la metteure en scène croise huit portraits d’hommes dans un décor pyrotechnique où se relaieront baston et stroboscope. Après avoir figuré l'étendue des stratégies féminines contre la norme patriarcale dans Désobéir, elle fait ici état d’une masculinité en mutation en déployant un large éventail de situations sociales - et des assignations qu’elles génèrent. Et c’est pourtant dans le soin qu’elle porte à la précision et à la diversité que se dissout parfois la force de son propos.


Sur les murs d’un bunker noir, les comédiens inscrivent leur huit noms comme une troupe de garçons espiègles. Junior, Natan, Charmine, Alexandre, Tigran, Djamil, Romain et Moha. Les présentations sont faites. Dans une mise en scène volontiers survoltée, ils discutent, s’écharpent et forment des alliances autour des enjeux que leur imposent les luttes féministes contemporaines. Comment s’assurer du consentement ? Le féminisme va-t-il trop loin ? Qu’attendent les femmes de l’homme moderne ? Face aux transformations actuelles des rapports de genre, toutes les masculinités ne sont pas égales. La Tendresse souligne avec tact les dynamiques raciales ou de classe qui interfèrent dans nos intimités. Issus de milieux différents, blanc, noir, arabe ou arménien, les comédiens forment une hydre à huit têtes, bien embêtée de devoir définir la masculinité du futur. Seulement, l’exhaustivité documentaire que semble s’être fixée Julie Berès la contraint à un effet catalogue qui vient à nuire au naturel de ces conversations de vestiaires entre « potos », pourtant parfaitement rendues sur scène.


Marathon 


Imaginaires imbibés de porno ou de rap de quartier, de grosse techno comme de Rambo, au fil de ces échanges se dessine l’inconscient tortueux des jeunes hommes d’aujourd’hui. Confiants, les comédiens ne fuient pas le ridicule et assument frontalement ces contradictions qui sont les leurs. On regrette une mise en scène bourrée d’excès, qui les malmène. Ici, il faut simultanément courir, sauter, danser sous les strobos, éviter les bombes - être un homme semble donc affaire d’endurance. Sur ce parcours militaire, quelques courageux confient les excès de colère qui les subjuguent, cette violence « incontrôlable » qui descend dans le corps et « fait peur à sa propre mère ». La Tendresse affronte alors une statistique glaçante : en 2023, 23 % des jeunes hommes estiment qu’il faut parfois « être violent pour se faire respecter. »


Pourtant, nous n’aurons droit qu’à bien peu de tendresse entre ces innombrables semonces visuelles et sonores. Quelques accalmies font place à des monologues ciselés, comme celui d’Alexandre, homosexuel gonflé à bloc contre la norme patriarcale. Hormis ces ruptures salutaires, La Tendresse semble avoir été pensé davantage comme une mise à l’épreuve que comme un laboratoire d’alternatives où certaines réflexions n’y ont d’ailleurs qu’une place subalterne - comme celles sur la paternité ou la pénétration anale. Prises dans la course effrénée qui leur est imposée, ces virilités tourmentées n’ont finalement plus le temps de raconter cette tendresse que Julie Barès avait pourtant promis de faire jaillir.


> La Tendresse de Julie Berès du 8 février 2023 au 11 février 2023 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines ; le 2 mars 2023 au Centre Culturel Athéna ; les 7 et 8 mars 2023 au Théâtre de Cornouaille ; du 15 mars 2023 au 17 mars 2023 au Théâtre de Namur ; le 21 mars 2023 à l'Espace Culturel Germinal à Fosses ; le 24 mars 2023 au Théâtre d'Angoulême ; les 20 et 21 avril 2023 au Théâtre de La Piscine à Châtenay-Malabry

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