Comment se porte le théâtre participatif ? Grand fétiche du théâtre européen à l’époque de Nuit Debout & consorts, le voilà déclaré has been. C’est que le genre pose un dilemme propre à décourager bien des artistes : une fois brisée de la frontière artistes/spectateurs, sert-on la toute-puissance des premiers ou la manipulation des seconds ? Dans une modeste agora en panneaux de pin, la metteuse en scène Johana Giacardi s’y colle à son tour : le temps d’une représentation, la scène sera un open mic’ laissé libre à qui veut l’ouvrir. Voici l’expérience que tente C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule, à l’intitulé programmatique.
Et pour mettre le public – une centaine de têtes – en confiance, rien de mieux qu’un peu d’électro, un chant choral sur le vieux tube d’Alphaville « Forever Young » et une disposition en foyer autour d’une petite scène. Au micro, Johana Giacardi fait les présentations – tournée des prénoms incluse – et annonce le programme : la soirée est garantie safe et bienveillante. Le concept sera sans doute familier aux auditeurs les plus fidèle de France Inter : c’est celui de la cultissime émission de confessions nocturnes Allô Macha, animée pendant près de trente ans par la gutturale Macha Béranger. Sauf que la voix de notre modératrice est plus douce, plus timide. En sneakers et t-shirt flottant, la comédienne donne le ton. À en croire les corps qui se relâchent, l’attention studieuse et les expressions qui parcourent l’assemblée, les premières graines de confiance portent leurs fruits lorsqu’est remis le bâton de parole : « Quelqu’un a-t-il quelque chose à dire ? »
Et dans le public, ça se lâche. Des expériences de vie ordinaire, une rupture amoureuse, des espoirs parentaux. Ni grandioses, ni exceptionnelles, mais simplement humaines et donc audibles par tous, les confessions se font écho. D’autant qu’elles jaillissent hors de tout formatage médiatique, hésitations et bafouillements inclus. Placé·es à égalité face au micro, les courageux·es qui franchissent le pas pour se livrer forcent l’écoute de celles et ceux qui seront peut-être les prochains.
Sauf que, comme on pouvait s’y attendre, il y a baronnade : les spectatrices qui se sont exprimées font partie de la compagnie. Si les témoignages qu’elles partagent sont authentiques, ce ne sont pas leurs expériences propres mais celles d’anonymes, jeunes ou moins jeunes, prof ou ado, rongés de timidité ou dotés d’un verbe éruptif. Il y a quelques mois, ces quidams ont poussé la porte d’une caravane-confessionnal que Johana Giacardi a posté dans l’espace public, et se sont livrés une trentaine de minutes chacun, sans pression ni sollicitation. Forte de cette expérience sensible menée hors des murs du théâtre, la metteuse en scène a cherché, par la scène et le collectif, à rejouer à grande échelle ce partage de parole. Dans sa première mouture, le spectacle intégrait bel et bien des participations spontanées du public. Mais suite à quelques représentations inaugurales entachées de commentaires et d’invectives, il est apparu qu’un tel dispositif exposait les spectateurs les plus loquaces à une potentielle malveillance. Un choix s’est alors imposé aux comédiennes des Estivants : sacrifier la prise de risque « live » et privilégier la douceur, aussi préméditée soit-elle, en prenant ces témoignages à leur charge.
Ainsi les promesses de la feuille de salle ne sont pas tenues. Mais Johana Giacardi et ses quatre comédiennes n’en signent pas moins une ode à la liberté de réinvention de soi permise par la scène et servie par de la danse, du drame et même du clown. En creux, dans l’artifice appuyé d’une scène d’amour shakespearienne ou la délicatesse d’un témoignage du bout des lèvres, ce vrai-faux spectacle-forum se donne comme un espace d’expression des vulnérabilités, qu’elles soient racontées en public ou patiemment reformulées pour qu'on puisse les ramener avec soi, prêtes à germer, ailleurs ou autrement.
C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule de Johana Giacardi & la Compagnie Les Estivants a été créé et présenté du 27 septembre au 5 octobre au Théâtre des Bernardines, Marseille
⇢ les 28 et 29 janvier 2025 au Théâtre du Briançonnais, Briançon
⇢ du 1er au 15 février au Théâtre Public de Montreuil
⇢ le 4 mars au Théâtre d’Arles
⇢ le 1er avril au Forum Jacques Prévert, Carross
⇢ les 3 et 4 avril au Sémaphore, Port-de-Bouc
Lire aussi
-
Chargement...