Ça commence comme un concert. Obscurité, micro à pied, six silhouettes, un premier morceau, bonjour et bienvenue. Puis ça finit comme un spectacle de danse. La nouvelle création de Jan Martens s’ajoute à la longue liste des pièces chorégraphiques en lien étroit avec la musique – Anne Theresa de Keersmaeker étant à la pointe de cette danse qui s’écoute et de cette musique qui se regarde. Mais le chorégraphe, belge également, suit son propre filon. Voice Noise déroule une exquise playlist de vingt-trois pièces sonores dont les treize auteurs sont toutes des autrices. Un éventail de tout ce qui peut se faire avec des cordes vocales : grondements gutturaux de la Canadienne Inuite Tanya Tagaq Gillis, mélodies haut perchées des Scandinaves du Trio Mediæval, ou ondoiements de la vocaliste classique indienne Kesarbai Kerkar capturés par un enregistrement grésillant – un document rare de 1935.
Voice Noise s’écoute presque plus qu’il ne se regarde. Les six danseurs/danseuses en scène, tous de tailles réellementdifférentes – comme autant de tonalités, du grave à l’aigu –, n’ont pas pour mission d’illustrer la musique ou d’ajouter aux voix une couche de gestes. Ils sont là pour accompagner une écoute. La nôtre comme la leur. En ouverture, chacun débarque avec ses propres gestes sur un promontoire recouvert d’un film plastique à effet miroir. La bande son : le chant rythmé de l’expérimentatrice américaine Cheri Knight. Précise, ciselée, leur danse éclate dans l’espace avec une netteté telle qu’elle met tous nos sens en éveil. Prélude de préparation achevé, les danseurs s’éloignent, s’asseyent dans des postions d’écoute puis enchainent solos, duos et moments d’unisson, selon les morceaux.
La sélection régale, en découvertes notamment. Hormis quelques standards populaires – l’hymne de révolte italien « Bella ciao » ou le negro spiritual « Motherless child » –, Jan Martens est resté à l’écart des hit-parades. En premier lieu, son geste s’inscrit dans un mouvement de réhabilitation des figures féminines que les anthologies musicales ont du mal à intégrer. Mais c’est aussi une joie du partage, comme cela se ferait entre amis – un généreux fascicule réunissant toutes les références de la bande son nous attendait sur nos sièges. Et c’est bien ce jukebox-découverte qui nous maintient en éveil malgré une baisse d’attention palpable sur la fin de la pièce. Voice noise n’est pas une pièce qui « raconte », « témoigne », « parle de », « énonce », ou « s’insurge ». Sa posture est toute autre. Ici un mouvement signale les subtilités d’un grain de voix, là une lumière clignote sur les ondulations d’une autre. Chez Jan Martens, la danse nous ouvre les oreilles pour nous chuchoter avec une grande simplicité : assieds-toi et écoute.
Voice noise de Jan Martens, du 19 au 23 novembre dans le cadre du Festival d'Automne au Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt, Paris
→ le 11 décembre, programmé par l'Opéra de Lille au Concertgebouw, Bruges (Belgique)
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