« La langue est l’organe qui trahit d’où l’on vient » répétait la grand-mère de Jaha Koo. C’est aussi celui par lequel on se forge une personnalité gustative. Et l’artiste Sud-Coréen en sait quelque chose, lui qui se pose en cuisto-performer dans Haribo Kimchi, sympathique création multimédia, sa spécialité. Il faut d’ailleurs peu de temps à l’analogie qu’il dresse entre identité, culture et nourriture – naïve mais imparable –, pour prendre forme et nous gagner par tous les sens. En plateau, une cabane translucide nous accueille. Sur ses parois sont projetées des vues nocturnes de Séoul. Jaha Koo, en tablier de cuisine, dénude la structure et révèle un pojangmacha, un de ces restaurants mobiles qui peuplent la capitale sud-coréenne jour et nuit. Et ça tombe bien : c’est l’heure du diner. Deux spectateurs sont conviés à déguster, à vue sur la totalité du spectacle, un menu concocté live par l’artiste : soupe d’algues, kimchi, vidéos pop et anecdotes perso.
Alors oui, Haribo Kimchi nous ressert des plats bien connus des arts vivants. Le déracinement, la solitude de l’exil, les affres de l’inadaptation, le racisme à l’occidentale qui laisse un arrière-goût humiliant au quotidien – le spectateur retrouve ici les ingrédients de base du récit de migration. Sauf que Jaha Koo aborde tout cela avec une bonhommie désarmante et sous une forme attrayante, privilégiant le sourire en coin ou une amère nostalgie. Son expérience de l’Europe, à Berlin ou Bruxelles, l’a laissé sur sa faim mais il fait contre mauvaise fortune bon cœur. Autour de sa guérite et des odeurs qui en émanent, des écrans vidéo déversent une imagerie bubblegum, voire délibérément cheesy, qui prévient tout excès de pathos. Sur une pop électronica hyper compressée, un escargot chante, plus tard un ourson en gélatine – on nous tend la main, difficile de ne pas la saisir.
C’est que Jaha Koo a un fort capital sympathie, et ça aide à digérer jusqu’aux réalités historiques les plus acides. Comme celle de la loi martiale de 1980 en Corée du Sud, dont la barbarie tombe comme une enclume à mi-parcours. Un autre contraste marque le spectacle, en dépit des visuels ultra sucrés qui dominent les écrans : alors que la tradition culinaire fleure bon le vernaculaire et que les saveurs parlent au corps, le dispositif hi-tech nous ramène à une globalisation sans pitié, froidement technocrate. Et ce sont ces petits chauds/froids qui pimentent la formule feel-good et ultra efficace de l’artiste – à noter : ceux qui venaient au théâtre pour fuir le règne de l’image et du feed seront déçus. C’est en fin de compte la sincérité de l’adresse qui fait le travail : Jaha Koo nous livre ici, sur un buffet all you can eat, ce qui reste d’inaliénable en lui malgré sa migration continue.
Haribo Kimchi de Jaha Koo a été présenté du 9 au 14 décembre dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de la Bastille, Paris
⇢ les 26 et 27 février au CAMPO nieuwpoort, Gand (Belgique)
⇢ le 29 avril à nona, Mechelen (Belgique)
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