L’été dernier, la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques a scindé l’opinion mondiale en deux camps : liesse progressiste et épouvante réactionnaire. Une troisième voie, ultra minoritaire, s’est creusée dans les milieux militants. La maxi-parade arc-en-ciel de Thomas Jolly n’achève-t-elle pas la domestication des contre-cultures ? N’est-ce pas offrir les minorités sexuelles au grand capital sur le plateau de l’entertainment, unique espace que la majorité lui concédait jusqu’à peu ? Tomas Gonzalez remue ces mêmes questions le temps d’un désopilant intermède qui précède le final de Frks, contre-parade qu’il a orchestrée avec son binôme Igor Cardellini. Dans une longue énumération, le co-metteur en scène nous laisse imaginer : « Et si les queers arrêtaient de servir la mode, la culture, le spectacle ? »
L’hypothèse est politiquement excitante mais elle attendra. Parce que ce soir, c’est showtime. Dernièrement, le tandem suisse Cardellini/Gonzalez s’était cantonné à des visites guidées performatives : d’une salle de spectacle pour fouiller aux racines de la représentation (Un spectacle, 2023), d’un centre commercial pour fouiller celles de la civilisation (L’âge d’or, 2021). Le revoilà investissant la scène pour dresser une autre généalogie : celle de la visibilité queer. L’occasion d’en jeter un max et Frks ne s’en prive pas. Dans ce cabaret goth-queer agité par une dizaine de performers, tous les voyants sont dans le rouge. Celui du camp d’abord : place à l’excès, du lyrisme débridé de deux séquences dark-opératiques jusqu’au DJ-set break-trance signé TTristana à mi-parcours. Celui du potache ensuite : Frks s’offre une bonne tranche de dérision dans de savoureuses visions burlesques qui rappellent le mobilier vivant de Miet Warlop – un urinoir essaie de choper des jets de pisse, deux placards s’entrechoquent en clin d’œil à l’expression consacrée. Celui du didactisme aussi : un texte enregistré assume ses revendications et tacle les LGBT-phobies sans détour. Enfin, celui de l’opulence visuelle : une crypte de textile noir, entité la plus obsédante de la soirée, héberge ce cirque dégenré, lui volant souvent la vedette.

Oui, c’est beaucoup – et on ne vous dit rien de la brigade cynophile qui inspecte les gradins ni de la sorcière échappée d’un Florentina Holzinger qui assaille le public. Mais puisque la diète est pour bientôt dans les arts vivants, autant se faire plaisir. L’argument de la pièce est d’ailleurs socio-économique : cet inventaire en règle de la tradition scénique, avaleur de sabre inclus, rend hommage aux foires et cabarets qui furent longtemps l’une des seules sources de revenus des freaks en tout genre. Pour enfoncer le clou, chaque soir, des fonds sont levés pendant la pièce au profit d’une asso LGBT – quelques 2 000 CHF ont été récoltés lors des représentations à Vidy-Lausanne, qui dit mieux ? Une façon assez cash d’exposer le paradoxe de la condition queer : se planquer pour se protéger ? Ou se montrer pour survivre – mais pour qui et sous quelle forme ? Cette tension, le show la figure à la lettre dès ses premières minutes : un cache-cache stroboscopique de silhouettes en fuite, harnachées dans des combinaisons type « Rick Owens habille le GIGN ». Un tableau à la fois comique, sur-stylisé, frénétique et efficace, qui synthétise les ambitions démesurées de Frks. Si la Suisse accueille un jour les JO, elle saura qui appeler pour la DA.
Frks d’Igor Cardellini et Tomas Gonzalez a été présenté du 10 au 13 avril à la Maison Saint-Gervais, Genève
⇢ les 10 et 11 mai à ABC, La Chaux-de-Fonds
⇢ les 22 et 23 mai, au Théâtre Benno Besson, Yverdon-Les Bains
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