CHARGEMENT...

spinner

Sur la scène du Pavillon Villette, l’intégralité du Songe d’une nuit d’été a été photocopiée. Les feuilles sont scotchées à un long portant monté sur roulettes qui servira, successivement, de mur amovible, de fond, de coulisse, et surtout de forêt, celle où se déroule la pièce de William Shakespeare. Au cœur de la nuit, des couples d’amants athéniens, ainsi qu’un peuple de fées, y croiseront une troupe de théâtre amateur en quête d’espace pour répéter. Cette forêt textuelle, Gwenaël Morin a l’habitude de la passer à la tronçonneuse, comme tout le répertoire classique. Ici encore, il s’autorise de larges coupes, jusqu’au titre de la pièce : plus de nuit, plus d’été, c’est juste Le Songe qu’il a choisi de garder.


C’est à un technicien qu’incombe de résumer l’intrigue en cours. Il présente au public une foison de protagonistes que seuls quatre comédiennes et comédiens interpréteront. La troupe semble d’ailleurs tester les différentes manières de déclamer un texte tout juste appris. Le ton n’est pas fixé. « C’est bizarre », psalmodie-t-elle en chœur. Oui, c’est bizarre, parce que plus la pièce avance, plus on croit assister à la fabrique confuse d’un spectacle, narrée dans le désordre tel un rêve que l’on tente de rapiécer au réveil.


Le geste de renversement qu’opère Gwenaël Morin ne se révèle vraiment qu’à partir de l’acte III, lorsque la troupe d’amateurs fictive se lance dans une répétition grotesque du mythe de Pyrame et Thisbé. Tout Le songe se reflète alors dans cette mise en abyme, comme si la mise en scène de la pièce que l’on regarde depuis une heure avait été confiée à ces quelques personnages fantasques. Un Songe dans lequel Bottom, Lecoin, Flûte, Groin, Étriqué et Meurt-de-faim joueraient Le songe d’une nuit d’été. Dès lors, le public, intégré dans le rêve, ne peut que suspendre son jugement. Nous nous tenons devant une fiction de pièce : la représentation d’une représentation. Public et comédiens composent tous, pour un instant, la même assemblée d’amateurs – étymologiquement « celles et ceux qui aiment ». Et ce vertige sur le plancher du réel, réalisé avec presque rien, est la vraie prouesse de cette énième relecture de Shakeaspeare.



Le Songe de Gwénaël Morin © Pierre Grosbois



Le spectacle ne s’encombre d’aucun artifice. Pas la peine, la langue est la meilleure machinerie. Il suffit qu’une des interprètes déclare « Je suis bien un mur, c’est la vérité » pour agréer ce qu’elle nous propose de croire. À cette vraie-fausse troupe qu’il nous présenteGwenaël Morin emprunte la désinvolture et la dérision avec lesquelles elle manipule les codes du théâtre. Rien ne fait éternellement loi, rien n’est gravé. Tout est élastique, sujet à la variabilité : les rôles, les noms, les passions. Un personnage reproche à un autre : « Vous dites tout votre rôle en mélangeant les répliques » - serait-ce là le rêve ultime de Gwenaël Morin ? Devenir Puck, cet esprit malicieux qui sème la confusion derrière chaque représentation, à qui « rien ne plaît plus que ces absurdes contretemps » ?


Dans cette forêt où l’on dépense son énergie à se disputer et à se réconcilier, les signes sont interchangeables. Ce n’est pas le temps qui est « out of joint », c’est la nature même du sentiment amoureux. Les lumières de Philippe Gladieux ne font tomber la fameuse nuit que dans les dernières scènes. La vraie-fausse troupe s’allonge, puis se relève. Elle se demande alors si elle a rêvé ou bien vécu ce chaos enchanté – c’est donc ici la fin du songe et du spectacle. Nous voilà « à moitié éveillés, à moitié endormis », à mesure que nous reviennent à l’esprit nos vies oubliées pendant deux heures. « Je ferai composer une ballade sur ce songe », promet Bottom. Est-ce celle que l’on vient d’entendre ? Deux globes lumineux flottent au-dessus de nous depuis tout à l’heure, comme une double-lune. Le réel et la fiction côte à côte, produisant, au final, le même quotient de lumière.



Le Songe de Gwenaël Morin sera présenté du 15 au 17 octobre aux Points Communs, Scène nationale de Cergy

Lire aussi

    Chargement...