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Selon le texte de présentation de la pièce, le travail d’écriture collective qui a mené à la nouvelle création du Groupe O a pris pour point de départ Platonov – une pièce de Tchekhov mettant en scène un homme désespéré de plaire – afin d’interroger la place des femmes dans le milieu théâtral. Seulement, tout cela apparaît vite comme un prétexte, ou plutôt une façon de situer un propos, des interrogations et des ratés. Ce qui aurait pu être excluant – parler du théâtre – devient une forme d’honnêteté, voire de modestie. Pas question de parler de patriarcat ou de la condition des femmes en général : les membres de ce collectif font du théâtre, et c’est donc aussi depuis le théâtre qu’ils font l’expérience du machisme qui traverse toute la société, et essaient d’y remédier. Dans le contexte des affaires qui entourent le film Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi suite aux plaintes pour viol déposées à l’encontre de son acteur principal, Sofiane Bennacer (lire l’implacable billet de Mona Chollet sur le sujet), ce n’est pas rien d’essayer.


Ainsi passe la gloire du monde superpose les histoires et les registres : témoignage, saynètes fictives, ou encore reconstitution de souvenirs virant à l’absurde. Il y a cette actrice, qui se souvient de devoir encore jouer l’ingénue trahie (un personnage de Platonov) face à un séducteur imbuvable, et qui, tentant d’en parler à son metteur en scène, se voir rétorquer « elle est jeune, elle découvre l’amour, c’est violent ». Il y a ce couple de spectateurs, dont la relation est traversée de violences très ordinaires, banales mais pas moins insoutenables : condescendance, colères inexpliquées, charge mentale. Et il y a aussi la comédienne Lilla Sarosdi, qui raconte ce qui pourrait bien lui être arrivée à elle, comment sa découverte du théâtre a été entachée par l’agression sexuelle d’un metteur en scène très réputé, et combien briser le silence lui a coûté des années plus tard. « Faut arrêter de dénoncer, faut que les choses changent » dira la première. Ainsi passe la gloire du monde n’a la prétention ni de l’un, ni de l’autre : la pièce, simplement, montre.


Fait rare également : elle tente de faire parler les hommes sur ces sujets. Elle le tente, en tout cas : lorsqu’ils se risquent à évoquer leurs difficultés amoureuses, ce sont deux monologues qui se répondent, aucun dialogue ne s’instaure. La masculinité s’y montre d’abord butée, presque un peu naze, puis révèle ses questionnements et ses ratés courageux, pour finir en grâce : dans un saisissant final dansé, l’acteur Matthais Hejnar assume une élégance fragile, qu’on aurait qualifiée de féminine si tout cela, justement, n’était pas en train de se déconstruire sous nos yeux.


Mais c’est peut-être encore dans sa construction que ce travail touche au plus juste. Apparemment fragmentaire – reflet d’une crise contemporaine de la narration linéaire, peut-être plus tellement en phase avec notre époque – Ainsi passe la gloire du monde va plus loin, et fait bégayer l’histoire. Les tours de scène récurrents d’un homme au flambeau, révélant des apparitions fantastiques sur son passage, se lisent non seulement comme la preuve qu’il est possible de traiter de sujets très sérieux au théâtre sans rien sacrifier de l’imaginaire, mais aussi comme une métaphore de la difficulté à faire advenir une réelle égalité entre hommes et femmes. Les logiques de domination sont têtues, elles reviennent, insistent, changent de visage, et leur recommencement perpétuel requiert une vigilance de tous les instants. Pour en être à la hauteur, un peu de lumière dans l’obscurité peut être utile – celle d’une grande flamme, ou, à défaut, d’une petite lampe-torche.


> Ainsi passe la gloire du monde du Groupe O a été présenté les 6 et 7 décembre au Théâtre de Chelles, dans le cadre du festival Impatience.

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