CHARGEMENT...

spinner

Certaines histoires collent à la peau. Dix ans, vingt ans, trente ans. Pour le réalisateur Amos Gitaï, le Golem est l’une d’elles. Et quand ces histoires virent à l’obsession, l’Israélien les décortique sur un plateau de théâtre. C’était déjà le cas avec la pièce House (2023), adaptée de sa trilogie documentaire sur la reconstruction d’une maison de Palestiniens à Jérusalem (1980-2005). La saga se poursuit à la Colline avec Golem, inspiré d’un mythe kabbalistique du IIIe siècle et également tiré d’un trio de films réalisés au début des années 1990.

 

Les épaves d’une maison effondrée flottent dans les airs – des pans de murs, une table ou un lit. Au sol, des vêtements aux teintes foncées recouvrent le plateau. Entre les deux, une foule de comédiens, chanteuses et musiciens patientent, alignés en fond de plateau. A l’image de ses décors, Golem est une pièce à couches multiples. Ce sont d’abord les textes de trois grands écrivains juifs du XXe siècle : Isaac Bashevis Singer, Joseph Roth et Lamed Shapiro. Au cœur de la pièce, il y a Le Golem de Singer, un livre pour enfant écrit en 1969 : dans le Prague du XVIe siècle marqué par les persécutions de Rodolphe II, un banquier juif accusé d’avoir kidnappé une enfant reçoit l’aide d’un géant d’argile, le fameux Golem. A cette trame initiale, Gitaï greffe des extraits de nouvelles de Shapiro, Le Royaume juif (1919), dans lequel l’auteur relate la violence des pogroms en Ukraine qu’il a connus dans son enfance, ainsi que des fragments de Juifs en errance (1986) de Roth qui chronique l’exode des Juifs de l’Est vers l’Europe occidentale. Les comédiens naviguent entre ces trois sources aux registres variés pour donner vie à un spectacle-monde creusé au cœur de l’histoire : l’humour déstabilisant de Roth y contraste la dureté de Shapiro, et vice versa. Certes, le Amos Gitaï « homme de théâtre » y va parfois avec de gros sabots dans ses choix de mise en scène. Mais ce sera l’usage de la musique – chanteuses lyriques, pianiste, percussionniste et violoniste sont au plateau – qui donnera à l’entreprise sa grâce et son unité. 

 



©Simon Gosselin




Espagnol, français, arabe, hébreu et bien sûr yiddish, la langue vernaculaire des communautés juives : en se dressant tel un Babel, Golem aspire-t-il à une forme d’universalisme ? L’image finale y concourt : le corps enduit d’argile, chaque comédien puise dans son vécu pour livrer son interprétation du géant mythologique le temps d’un monologue. Racisme et antisémitisme ressurgissent dans chacun d’entre eux et la figure d’argile s’y fait la métaphore du potentiel créateur comme destructeur de l’être humain. Mais à l’arrivée, un malaise surnage : c’est celui du conflit israélo-palestinien en cours, bien sûr, jamais ouvertement évoqué et d’autant plus asphyxiant. Ainsi, lorsque sont évoqués sur un air de piano l’art et son potentiel de résistance, quelque chose dissone dans la salle : aucune pièce de théâtre ne viendra à bout du mal. Restent l’acte de mémoire et la trace des traumatismes du passé, que ce Golem porte avec force et dignité.

 


Golem d’Amos Gitaï, jusqu’au 3 avril à La Colline, Paris

 

Lire aussi

    Chargement...