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Quelque chose a bougé dans le champ un peu galvaudé de l’(auto)biographie littéraire ces dernières années. En écart avec la tradition du récit de vie des grands hommes (les femmes, bien sûr, deviendront des héroïnes plus tard), après les premières expériences de confessions et d’introspection en tout genre, puis le boulevard de l’autofiction, le travail de la forme est revenu sur le devant de la scène. Certains textes racontant des vies ont déjoué les frontières de genre et les logiques de classification. Ainsi vint l’heure du récit. Les connaisseurs vous diront pourtant que tout ceci n’a rien de nouveau. W. G. Sebald, le plus anglais des auteurs allemands, est déjà passé par là. Né en 1944, marqué à vie par le silence de ses parents sur la Seconde Guerre mondiale, l’écrivain tord les règles de la biographie dès la fin des années 1990 pour creuser les tabous et traumatismes hérités de ce moment de l’histoire. Dans son Austerlitz (2001), le personnage éponyme rapièce sa mémoire au fil d’une conversation et fait la lumière sur sa véritable identité. En toile de fond, toujours : l’Europe comme champ de ruines.


Si Gaëlle Bourges emprunte le titre de ce livre, elle ne l’adapte pas. Celui-ci est arrivé tard dans le processus de création. Comme un hasard, ou une intuition jusqu’alors inconsciente : la chorégraphe, connue pour ses relectures de l’histoire de l’art par la scène et les corps, faisait du Sebald sans le savoir. Son Austerlitz à elle opère sur plusieurs niveaux : en voix off et tableaux dansés, elle ne retrace pas seulement son parcours en l’entremêlant à l’histoire plus large de la modernité (artistique). Elle ne l’écrit pas seulement au pluriel, en racontant, aussi, les aventures de ses fidèles compagnons présents avec elle sur scène de ses fidèles compagnons présents avec elle sur scène. Elle compose, surtout, une biographie de rencontres dans tout ce que le terme recèle de collisions heureuses entre des mondes étrangers.


Derrière un rideau fumé en avant-scène, dans une lumière spectrale qui met à distance autant qu’elle donne forme à la matière même de la mémoire, la chorégraphe tisse des correspondances qui nous emmènent de la BNF à la Hudson Church, de Aby Warburg à Pasolini, de la Shoah au massacre des Premières nations. L’angoisse de la mort plane, mais toujours contrebalancée par une ambiance de jeux, comme si l’enfance avait le pouvoir de nous protéger de tout.


Les références sont sans doute trop nombreuses pour que la narration tienne vraiment. Les tableaux défilent dans une valse trop rapide pour que l’émotion, toujours en lisière, ne s’installe réellement. Mais Gaëlle Bourges et sa troupe d’êtres costumés n’en signent pas moins un tour de force : arracher les outils de la psychanalyse à leur référentiel biologique. Rêves, analogies, inconscient sont mis au service d’une nouvelle affirmation : nous ne serons jamais seulement le pur produit de nos géniteurs, mais toujours et aussi celui de nos élections. L’amitié sait très bien, elle aussi, faire famille.



Austerlitz de Gaëlle Bourges a été présenté les 13 et 14 décembre au Carreau du Temple, Paris. 

du 18 au 31 janvier au Théâtre Public de Montreuil

 les 13 et 14 février à la Maison de la Culture d’Amiens

du 5 au 7 mars à la Vignette, Montpellier

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