Avec son titre en lettres capitales, d’emblée, HURLULA nous hurle dessus. Mais, dans un premier temps, le cri de la chorégraphe Flora Détraz est tout à fait silencieux. Des miroirs ronds à la place des yeux et de la bouche, dans une tunique bleue ample, elle apparait juchée sur une faille rougeoyante. Là, juste sous le tapis de scène, la croute terrestre semble s’ouvrir sur de la lave en fusion. Entourée à sa gauche par le percussionniste Lê Quan Ninh et à l’avant-scène par la maitresse des larsens Claire Mahieux, Flora Détraz déforme son visage à la manière du cri le plus célèbre de la peinture expressionniste. Munch s’efface quand, saisie du micro, la danseuse vocifère façon concert de métal.
Par le passé, la danseuse, qu’on a beaucoup vu dans des créations de la célèbre portugaise Marlene Monteiro Freitas – dont on retrouve le goût pour les grimaces –, a creusé le sillon de la relation entre le corps et les sons qui en sortent. La ventriloquie dans Tutuguri, le chant venant de la cage thoracique dans le joyeux Muyte Maker, la glotte et les sons gutturaux dans Glottis : avec le recul la chorégraphe reconnaît que son travail remonte progressivement vers la bouche. Son HURLULA, pétri de son univers unique, à mi-chemin entre le cabaret allemand d’une Valeska Gert et l’énergie punk des Rita Mitsouko, gueule en ouvrant bien grand la mâchoire et provoque un trouble dans notre for intérieur.
Car un tel cri, si affirmé, est une image inhabituelle. D’autant plus que c’est précisément une femme qui crie. Une telle affirmation, un tel débordement émotionnel défie le code de conduite auquel une socialisation genrée cantonne depuis toujours les petites filles : douceur, mesure, maîtrise, patience ; les sourires plutôt que la colère, encaisser plutôt qu’exploser. Bien souvent, pour maintenir les cadres de la décence, une femme qui crie publiquement sera consciencieusement mise à la marge, rangée du côté de la folie. Alors, si cet HURLULA au fond dérange, c’est que Flora Détraz n’en a que faire de la pudeur, elle passe de cris aigus à des grincements narquois, d’un combat de sons avec le percussionniste au hululement d’oiseaux, de bruits de terreur à des gazouillis. Elle bouillonne et fulmine tous azimuts, quitte à nous perdre en chemin. Chargée de la pleine puissance de la terre ouverte sous ses pieds, elle en finit avec l’injonction féminine de devoir toujours, encore, se contenir – du moins, le temps d’un spectacle.
HURLULA de Flora Détraz
⇢ du 20 au 22 septembre au Théâtre du Point du Jour dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon
⇢ le 3 octobre au LUX, Valence
⇢ du 11 au 13 octobre au Centre Pompidou dans le cadre du festival d’Automne à Paris
⇢ les 13 et 14 mars au Théâtre de la Vignette dans le cadre de Montpellier Danse
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