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C’est par le son qu’on entre dans la fiction. Sans images encore, puisque la scène est plongée dans le noir, nous sommes déjà transportés vers un univers inconnu dans lequel le goutte à goutte d’une stalactite de glace mue en écho d’airs religieux. Dans cet espace obscur, à la fois grotte et église, les silhouettes de trois créatures se distinguent peu à peu. De grands yeux bleus sont dessinés sur leurs paupières fermées. Ainsi dotées d’un regard plus qu’humain, elles ont la capacité de nous emmener avec elles dans un voyage à travers l’invisible.


Creusant de pièces en pièces les liens entre voix et mouvement, Flora Détraz défriche des territoires chorégraphiques d’une étrangeté savoureuse. Mais elle a aussi été formée à l’anthropologie et son Glottis flirte à maints égards avec le chamanisme sibérien (si bien décrit et analysé par l’anthropologue Charles Stépanoff). Déglutissements, grincements de dents, chants tirant vers le cri ; les trois interprètes inventent un nouveau langage pour discuter avec des forces qu’ils sont seuls à voir. Est-ce pour en attendre des réponses qu’ils marquent des poses ? Venus des profondeurs de leurs entrailles, ces sons donnent naissances à des gestes inouïs qui ne semblent plus tout à fait appartenir à ceux qui les dessinent. Danseurs-oracles, ils offrent un refuge à d’autres êtres qui ont besoin de se matérialiser dans des enveloppes charnelles pour pouvoir s’exprimer. Un temps automates aux gestes saccadés, au visage grimaçant et aux rires mécaniques, totems sarcastiques tout droit sorti d’un épisode du dessin animé Jumanji ; puis chauve-souris, poules, sphynges et maîtres de cérémonies burlesques : ces métamorphoses donnent à voir toutes les puissances qui hantent la scène. À mesure que la création sonore se complexifie, rendant impossible d’en déceler l’origine, les frontières entre l’intériorité des corps et l’extériorité de la scène se diluent : sommes-nous encore dans une grotte ou dans leurs glottes ?


Au terme du voyage, nous n’aurons pas percé le mystère de cette langue nouvelle qui s’est inventée pour convoquer les morts et tous ces autres avec qui nous partageons la terre. Mais nous serons longtemps habités par la certitude qu’elle existe, et qu’il nous reste à la trouver.


> Glottis de Flora Détraz, le 28 février au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, dans le cadre du festival Sens dessus dessous de la Maison de la Danse

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