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Braquage d’Andrea Marioni 


À quoi bon faire de l’art quand, au fond, on veut surtout faire sauter le grand capital ? Le dilemme harcèle plus d’un artiste, dont Andréa Marioni, qui défoule cette frustration en enrôlant le public dans un faux braquage, « parce que simuler, c’est déjà faire – c’est Mark Fisher qui l’a dit ». Il y a d’ailleurs plus de références contestataires que de biftons à se faire dans ce hold-up scénique, le Tessinois étant imprégné de fantasmes d’action directe comme de théorie critique. Le penseur britannique Mark Fisher en premier lieu, que sa lucidité sur ce qu’il a nommé réalisme capitaliste poussera au suicide, et le braqueur anarchiste suisse Jacques Fasel, avec lequel Marioni a eu une rencontre-déclic. Frénétique comme un gosse qui réalise qu’il a fait une grosse connerie, le comédien arpente ce qui ressemble à une garderie truffée d’armes factices, de jeux de sociétés et de masques en silicone. Monde de l’enfance donc, mais aussi de la psychiatrie, le grand malade se confiant à un thérapeute d’hôpital (un porte-manteau en blouse blanche). Certes, la métaphore est grossière : la société, c’est le symptôme, et les otages, c’est le public – on avait remarqué, merci. Le performeur s’égare parfois dans son analogie, si bien que lorsqu’il confronte les spectateurs sur leur culpabilité de bourgeois de gauche, on croirait entendre un CPE gueuler en salle de perm’. Alors, oui, l’efficace politique de l’art est limitée, et rudoyer le public au théâtre, ça lasse. Qu’importe, dans toute sa confusion, Braquage opère comme une jolie décompensation collective sous capitalisme tardif. Prochaine étape : le fight club ou le coup d’état ?


RC de Jérémie Nicolet


Un rap de babtou sur la jeunesse et le rapport au père, le tout au théâtre ? Plutôt crever, pense-t-on spontanément. Et Jérémie Nicolet nous donne tort : RC sculpte et déplace un flow gorgé d’inhibitions et d’injures grâce aux outils de la scène. L’espace d’abord, découpé au cordeau : une moquette, deux parois en angle ouvert, sur lesquelles se dédouble sa silhouette par un jeu de lumières. S’il y a battle ici, c’est donc entre le jeune comédien et ses ombres, qui le dominent ou l’accompagnent selon les proportions. Les nuances locutoires du théâtre ensuite : ruptures, décélérations, intentions, attaques, les mots claquent autrement une fois dépouillés des codes du live hip hop. Nicolet en prend même le contrepied : en tenue d’écolier, le jeune interprète débite sans accompagnement musical – ici, pas de beatmaker en fond de scène. Expression musclée, souvent dans la surenchère, la salve du rap prend d’autres sens dans l’épure théâtrale : micro-tragédie personnelle, confession bourrée de sarcasme, ou hallucination verbale. Ça change du slam pour scènes nationales.


Ouverture (edited) de Géraldine Chollet


Pendu au plafond d’un studio de répétition, un cerceau de loupiottes nous éclaire à intensité fluctuante. Autour de nous, des enceintes injectent une boucle de dub techno sourde mais captivante, qui donne le pas puis s’épaissit sur la durée. Dans cet environnement, nous marchons nonchalamment – certains en cercle, par instinct, d’autres en diagonale ou en sillonnant – et jamais ne restons immobiles. C’est la seule instruction communiquée lorsqu’on s’insère dans le mouvement d’Ouverture, proposition immersive de Géraldine Chollet, d’habitude donnée en extérieur. « Et, s’il vous plait, ne vous adossez pas sur les murs. » En marche donc, oserait-on. Parmi nous, un trio de danseuses se distingue par sa synchronicité et une suite de pas secs d’abord, plus prononcés par la suite. Mais leur danse n’est qu’une donnée parmi d’autres dans un trafic global alimenté par une vingtaine de participants. Tourne-t-on autour d’elles ou l’inverse ? Ne plus arrêter notre regard nous en libère-t-il ? Le temps nous a-t-il quitté ? À son acmé, l’expérience débouche sur un cosmos mobile activé par une tribu informelle – ouverte à qui ne rechigne pas à une heure de rando sur place. Mais sous la fatigue, l’ordre reprend ses droits : un cercle se dessine, un sens de marche s’affirme, quand ce n’est pas la situation de réception spectatorielle qui se reconstitue dès que se densifie la chorégraphie des danseuses. Rien-là qui ne gâche pour autant la sève d’Ouverture – ses instants d’euphorie déambulatoire, son invitation à la contemplation active.    


Le festival Gogogo s’est déroulé du 11 au 13 janvier au Théâtre du Grütli, Genève

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