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D’images à proprement parler, seuls nous parviendront des fragments durant La luz de en lago. C’est sur ceux-ci que s’ouvre le nouveau spectacle-machine d’El Conde de Torrefiel. Des vidéos projetées sur deux parois squattant l’avant-scène, comme sélectionnées en mode aléatoire – des fonds marins, une rave, un film lambda –, défigurées par des glitchs. Leur lueur paraît surannée. Sont-elles les scories de l’ère du tout visuel dont le binôme catalan entend sonner le glas ? Bien possible. Pour s’en passer, et résister à tout régime figuratif, Tanya Beyeler et Pablo Gisbert usent d’un dispositif elliptique : du texte écrit défilant en surtitres – qu’une voix pré-enregistrée double ponctuellement en espagnol –, et une dramaturgie musicale – du dark ambient, de la noise, des classiques indie-rock. En plateau, pas d’interprètes si ce n’est un quatuor d’impassibles techniciens-performeurs activant une machinerie théâtrale. À leur disposition, deux blocs mobiles agencent l’espace ou font écran en alternance avec d’autres matériaux, le tout baigné dans des lumières unies, dominées par l’axe rouge-vert-bleu. Partant de là : en avant les histoires.


Car, sous sa rigueur plastique et son abord conceptuel, La luz de en lago est sentimental comme un roman-photo. L’on y suit, avec gourmandise, plusieurs fils narratifs, certains pris dans celui d’un film qui nous est aussi conté. Un trio de music fans en pleine rave à Manchester dans les années 1990, catapulté dans le cosmos par un buvard d’acide. Une romance clandestine entre deux banquiers athéniens dans une salle de cinéma. Puis, une biologiste transgenre en plein songe dans le métro parisien, se remémorant les mises en garde de sa grand-mère contre les bassesses de la société. Et, en clôture, un happening post-dada dans un opéra vénitien, ultime mise en abyme. Outre des récurrences poétiques, ces tranches de vie urbaine ont en commun une mélancolie diffuse. En couvrant quatre décennies – d’un concert de Massive Attack dans les 90s à un show futuriste dans les années 2030 –, elles font la chronique d’un délitement du sens, d’une déréalisation très occidentale. Mais à ces fléaux si contemporains, le spectacle se garde de répondre par un moralisme surplombant, ni quelque apathie acide. 




"La luz de en lago", El Conde de Torrefiel © Andrea Macchia



Au contraire : El Conde, couple de quarantenaires biberonnés à la contre-culture et à la philo contestataire, qui se présentait jusqu’à peu comme « un groupe de rock raté », ont la révolte douce et joyeuse. L’hostilité qu’ils nourrissent à l’égard des images, armes de prédilection du capitalisme tardif, est bien sûr politique, et constamment actualisée. Par le passé, cet iconoclasme les a conduits à bien des formes – audioguide, duo participatif et même porn show –, mais La luz de un lago s’avère la plus pure de toutes. Exit les tartines théoriques ou les postures ironiques : leur nouveau spectacle oppose au diktat scopique la joie de l’histoire, le plaisir de l’abstraction visuelle et l’infini des projections mentales. Ici, la boîte noire s’offre comme le lieu d’une expérience où nos sens, notre attention et nos perceptions se distribuent autrement – ou, qui sait, celui d’un choc viscéral comme seule en induit la musique live, sous drogue. Et l’expérience en vaut la peine : une fois évacués acteurs, oralité et action dramatique, que peut encore nous offrir la scène ? Un peu d’espace pour la lecture et l’imagination, ultimes remparts, semble-t-il, contre la cannibalisation du sensible.


La luz de un lago de El Conde de Torrefiel a été présenté les 18 et 19 octobre à Viernulvier, Gent (Belgique)


--> du 13 au 16 février à la Maison Saint-Gervais, Genève (Suisse) 

--> au Festival d'Automne 2025, dates à venir

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