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Quand la ville dort, tous les yeux ne se ferment pas. À l’Agora de Montpellier, quelques spectateurs sont invités à se coucher sur scène pour simuler le sommeil, en ouverture de la nouvelle pièce du chorégraphe Dimitri Chamblas et de la légende de l’indie rock américain Kim Gordon. Le zeppelin lumineux n’est pas encore suspendu, mais des bruits d’hélicoptères nous rappellent que la surveillance rôde toujours. Cela n’empêchera pas les interprètes de prendre la scène d’assaut, depuis les coulisses ou les gradins, pour revendiquer ce qu’il reste d’espace de liberté, quitte à renvoyer sagement à leur place les spectateurs initialement invités en plateau. 

Devant nous, ils ne sont désormais plus que neuf, et du bout de leurs orteils jusqu’à la pointe de leurs cheveux, ils irradient de singularité. À chacun sa trajectoire et son vocabulaire chorégraphique, syncrétisme unique d’influences que leurs corps ont éprouvées : puissance tellurique, mouvements insaisissables en ligne de fuite, spasmes anguleux, contorsions, émancipation des carcans disciplinaires, vision furtive d’une animalité enfouie. Ils se croisent, tentent un pas de deux, se soutiennent un temps puis repartent. À chacun aussi sa tonalité pour des accords plaqués en rythme : la partition musicale, loin d’être un prétexte pour mettre en scène un concert ou une simple bande-son répond en exact miroir au principe chorégraphique. Une première question n’en tarde pas moins à surgir : en 2024, l’imaginaire de la transgression doit-il encore en passer par les codes du rock alterno des 80s pour s’incarner ? 



© Angel Orrigi 


Côte-à-côte plus qu’ensemble, à la fois danseurs et musiciens, les interprètes ne partagent pleinement qu’une chose : l’intensité désespérée de leur présence. Ce serait désespérant, justement, si ce n’était à ce point hypnotisant. Et puis ça finit par désespérer à force d’esthétiser. Sur le papier, représenter les « laissés-pour compte de la société et les marginaux » – ces ombres que le chorégraphe croise sur l’autoroute quand il rentre des ateliers qu’il anime en prison à Los Angeles, où il vit – avait tout de louable. Mais en faire un « thème » en leur absence, est-ce encore décent ? Avec de tels corps : jeunes, beaux, lookés, pleins de vie ? N’en déplaise aux pourfendeurs du soi-disant « wokisme » de nos scènes contemporaines, la question politique, en art, ne sera jamais qu’une question de sujet, mais encore et toujours une question formelle. Si l’inadéquation entre l’intention et la forme soulève ici de profonds enjeux éthiques, Takemehome ne nous rappelle pas moins, en ces temps de doutes, que la création n’a jamais autant de sens que lorsqu’elle nous aide à penser, même et encore quand c’est contre ce qui nous est donné à voir. 

 

 

Takemehome de Dimitri Chamblas et Kim Gordon a été présenté du 27 au 29 juin dans le cadre de Montpellier danse à l'Agora, Montpellier


⇢ du 18 au 21 septembre à Chaillot - Théâtre national de la Danse, Paris

⇢ le 24 septembre au Lux, Valence 

⇢ les 27 et 28 septembre à la Maison de la danse, Lyon

⇢ le 28 mars 2025 au Quai, CDN, Angers Pays de la Loire 


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