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Il y a du mouvement sur le plateau pendant que le public s’installe. Marcial Di Fonzo Bo entre en scène, le pas rapide, le regard préoccupé et la voix hésitante : « Cette histoire, c’est aussi la mienne. » annonce-t-il, ému. Pendant ce flottement introductif, il retrace la genèse de la pièce. Printemps 2022, le ministère de la Justice d’Argentine, son pays de naissance, le contacte : suite à la mort d’un propriétaire sans héritier direct, un appartement de Buenos Aires lui est légué. Le comédien n’a jamais entendu parler du donateur dont il partage pourtant le patronyme. Plus étrange encore, l’appartement est chargé d’un mystère : quelqu’un y a été enlevé par le passé. Le soir-même, Marcial Di Fonzo Bo joue dans un théâtre parisien. Il y rencontre Davide Carnevali et lui raconte l’anecdote. Scotché, le metteur en scène y voit la matière pour un spectacle documentaire : direction Buenos Aires. Extinction des feux, la pièce peut commencer.

 

Seul en scène, Marcial Di Fonzo Bo narre ce voyage : le Airbnb pour le séjour, la découverte du logement légué, le commissaire en charge, l’enquête, les archives, le fameux enlèvement – jamais élucidé. Sur scène, l’appartement a été reconstitué à l’identique. Un fauteuil renversé gît sur le sol parmi des documents éparpillés, une marque sur le mur témoigne de la présence antérieure d’un piano. Carnevali se joue des points de vue, des proportions, utilise plusieurs maquettes. Le comédien accompagne ses déambulations d'une caméra, dont l'image est projetée sur un écran surplombant la scène. Un brouillage des pistes est à l’œuvre. Le comédien creuse chaque détail de l’enquête, et ceux-ci s’accumulent, au risque d’assommer. Scènes et dialogues se répondent par effets de déjà-vu. À la façon d’un Jorge Luis Borges, le metteur en scène densifie son récit, dessine un labyrinthe d’intrigues secondaires. À mi-parcours, un article du Figaro datant de 1939 ouvre une nouvelle piste : la disparition d’un artiste juif à Paris. L’histoire de l’Holocauste croise celle de la dictature militaire argentine et les temporalités se troublent.


On l’aura compris : ce Portrait est un leurre. Plus qu’une simple enquête sur l’histoire d’un disparu à Buenos Aires, Davide Carnevali creuse ici la bonne vieille dichotomie fiction/réalité sur fond de méta-théâtre – et tout ça sans nous coller la migraine. Le metteur en scène se joue des frontières, des médiums et des discours tout en proposant une réflexion sur le travail de mémoire. Si la vérité n’est qu’un concept, la représentation scénique pourrait-elle faire loi ? C’est aussi la confiance qu’on accorde au conteur qui est mise en cause. Marcial Di Fonzo Bo porte plusieurs histoires sur son dos et demande au public de le croire sur parole. « Après tout, chacun est responsable de l’histoire qui se construit. » Surtout au théâtre. 



Portrait de l’artiste après sa mort (France 41 - Argentine 78) de Davide Carnevali a été présenté du 15 au 27 novembre au Théâtre de la Bastille, Paris

 

les 15 et 16 janvier  au Théâtre des Îlets, Montluçon

du 20 au 22 février au Théâtre de Liège (Belgique)

du 26 avril au 7 mai au Quai, Angers

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