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« Je m’appelle Alice, je suis danseuse et trisomique. » Et c’est grand. Grand comme le défi de trouver sa place dans le milieu de la danse. Grand comme le hangar de Paris Montreuil Expo où il faut esquiver le remue-ménage et les cris des bambins pour se glisser dans une petite salle à l’étage. Au programme du quatre-heures : « Rêve dansant », fruit d’ateliers menés par la danseuse et autrice Alice Davazoglou, qu’elle s’apprête à présenter à l’occasion du 40e Salon du livre et de la presse jeunesse. On nous prévient d’office : pour l’heure, la danse est un art qui se mange chaud et en groupe, gare à celui ou celle qui ne fera que regarder. Ni âge ni niveau requis, la jauge est l’ultime limite. À presque quarante, dont une classe invitée et des familles curieuses, l’atelier chorégraphique s'ouvre sur quelques questions posées par Françoise Davazoglou, la mère d’Alice, du classique « Tu fais quoi dans la vie ? » à « Qu’est-ce qui t’a amenée à la danse ? ». Dans l’atelier, la danseuse nous montre des croquis extraits de son ouvrage. On y trouve 21 dessins-portraits-postures de ses proches. Après un échauffement de quelques minutes, Alice nous propose d’imiter les poses répertoriées dans le carnet. « Tout le monde n’a pas exactement la même position, pas de panique, nos corps sont différents », conclut-elle après la démonstration.



Conforme ou non



« Qu’on ait un handicap, qu’on soit sourd, aveugle ou trisomique, on a le droit de faire comme tout le monde », déclare l’artiste sans un brin d’offense lorsque l’un des enfants participant à l’atelier lui demande « Pourquoi tu es trisomique ? ». Danseuse depuis 25 ans, Alice Davazoglou co-fonde ART21 en 2010 à Laon, sa ville d’origine, pour sensibiliser les regards sur le handicap mental, en mettant concrètement en place la danse mixte, sans diviser les participants selon des degrés de validité. Des écoles, des centres de loisirs, l’université Paris 8 ou encore le Centre national de la Danse de Pantin se prêtent au jeu, sous forme d’ateliers, de stages et de formations. À ce moment-là, Alice et Françoise Davazoglou sont conscientes de faire face à un gros morceau : celui de la méconnaissance banalisée du handicap, à laquelle les sphères culturelles n’échappent pas. Pour les « corps » ne répondant pas aux normes académiques, on y colle encore l’étiquette d’un art qui joue le rôle de soutien psychologique pour surmonter un obstacle physique, mais pas comme une activité professionnelle en tant que telle. Bien que le projet soit accueilli par une institution telle que le CN D, le handicap mental reste très souvent prétexte à invisibiliser le travail d’Alice Davazoglou aux yeux des producteurs.



Postures ouvertes



« J’ai contacté différents danseurs, et ils ont directement accepté de participer au projet ». Amateur·ices ou pros, porteur·euses de handicap ou non, tout le monde loge à la même enseigne. « Ça s’inverse : les pros deviennent apprenti·es », ajoute-t-elle pour introduire quelques extraits vidéos de son projet collaboratif Danser Ensemble à la fin de l’atelier participatif. Alice Davazoglou a en effet pensé ce travail au long cours en lien avec son livre illustré Je suis Alice Davazoglou - Je suis trisomique, normale mais ordinaire qui regorge de « postures » dessinées pour être imitées, ou directement inspirées des gestes des pointures de la scène contemporaine. En duo, dix chorégraphes professionnel·les français·es ont créé des mouvements via des « objectifs » donnés par Alice, en apparence faciles à produire — interpréter une émotion, un concept ou un genre musical avec lequel iels sont familier·es.



La plupart d’entre eux partagent des sensibilités communes à Alice Davazoglou, force centrifuge du projet : beaucoup dirigent déjà leurs propres compagnies et travaillent autour de l’interactivité, du lien social ou de l’inclusion. Certain·es comme Alice intègrent dans leurs créations des concepts proches du « portrait chorégraphique », une forme familière à Mickaël Phelippeau. D’autres comme Nathalie Hervé et Gaëlle Bourges ancrent leur travail dans la pédagogie et l’amateurisme, animant régulièrement des ateliers pour divers publics. Leurs parcours, pourtant, reflètent des influences variées. Béatrice Massin puise dans le baroque tandis que Bruce Chiefare apporte son grain de sel hip-hop. Et puis il y a Marc Lacourt, « c’est un peu un coyote » selon Alice, qui incarne une danse ludique et interactive pensée à plusieurs reprises pour le jeune public et les groupes. Pour Danser Ensemble, chacun·e poursuit à sa mesure ce qu’Alice nomme une « danse de création » : des gestes simples, linéaires et synchronisés, sans pas strictement appris, comme une invitation à jouer avec ses propres mouvements. Chacun apporte sa couleur par duo d’affinités : du « rock pour Bérénice » (Bérénice Legrand de la Compagnie La Ruse) accompagnée du « bas-rock de Béatrice ». Xavier Lot et Bruce Chiefare s’allient depuis leur goût commun pour les arts martiaux, et Nathalie Hervé d’ART21 auprès de Gaëlle Bourges, à la pâte plus historique et plastique. Côté public, Danser Ensemble ne sera pas une injonction à l’acting, mais des duos asynchrones qui tenteront de saisir ce qui les rapproche, parmi toutes les secousses imaginables qu’un corps peut donner à l’autre.




Danser Ensemble d’Alice Davazoglou, les 17 et 18 février au Carreau du Temple dans le cadre du Festival Everybody, Paris

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