CHARGEMENT...

spinner

Votre tenue, le choix des accessoires, ainsi que les gestes méthodiques et répétitifs que vous exécutez dans MIKE, renvoient tous à un univers ouvrier. Quel est le point de départ de ce travail ?


Je voulais faire exister un monde du travail invisibilisé. J’ai été formée il y a quelques années à la production artistique, ce qui m’a replongée dans une dynamique très administrative. J’avais l’impression de retourner dans le monde du marketing que j’avais choisi de quitter quelques années auparavant. Cette période a coïncidé avec la pandémie : les gens se sont retrouvés en télétravail, à interroger le sens de leur emploi et leurs sources de motivation. La question me semble d’autant plus importante que l’on passe la majorité de notre vie à travailler. Chaque fois que j’ai des tâches administratives à faire, que je passe ma journée derrière un écran, je fantasme sur un emploi de ménage. Plusieurs personnes dans mon entourage familial ont travaillé dans des métiers d’entretien, et elles avaient en commun cette sorte de zen de moine. Quand tu vas dans un monastère, la première chose que tu dois faire, c’est nettoyer. C’est un moyen pour se recentrer et se reconnecter à ses capacités.


Racisme et blanchité dans Yellow Towel, maternité et identité queer dans Cutlass Spring : vos pièces précédentes sont explicitement autobiographiques et mettent en scène un matériau très personnel. Est-ce aussi le cas pour MIKE ?


C’est même sûrement le projet qui va chercher le plus en profondeur. Cette pièce est un hommage à ma famille, à mon père en particulier. Je viens d’une famille ouvrière, c’est mon héritage. La tenue que je porte durant la performance a en fait appartenu à mon père, c’est la raison pour laquelle elle taille bien trop grand pour moi. Il a été concierge toute sa vie, et ma mère faisait des ménages. Mon père était très mutique, très silencieux. Quand j’ai fait mon premier projet de carte blanche dans un musée en 2017, à l'invitation du Xing festival de Bologne, je le voyais déambuler partout, sourire à l’agent de sécurité, observer les infrastructures. À travers MIKE, je voulais réfléchir à la notion de travail, et rendre hommage à toutes ces personnes qui œuvrent dans la discrétion.


Derrière les panneaux amovibles, par escapade dans les sous-sols ou les locaux techniques, vous jouez sans cesse sur le hors-champ, ce qui oblige les spectateurs à des déplacements réguliers pour suivre votre déambulation. Est-ce une manière de mettre le spectateur au travail ?

 

Je ne me dis jamais que je veux mettre les gens au défi ou les placer dans une situation d’inconfort. Je laisse plutôt les gens se déplacer comme bon leur semble et agir librement. Ils ne sont pas obligés de me regarder tout le temps. J’ai moi-même une attention diffuse, et si j’étais à leur place, j’aimerais avoir la possibilité de me concentrer, par exemple, sur la verrière. Je cherche d’autres manières d’engager l’attention et de regarder les choses. Trois heures, c’est long pour un spectacle, mais je voulais plutôt que ce soit un laboratoire, un espace de méditation. J’ai une partition très précise mais une fois que les gens entrent dans la salle, mon travail est de gérer l’architecture mouvante de l’espace et des énergies. C’est un laboratoire d’expériences psychologiques et humaines, dans lequel je cherche à créer une relation de confiance de la manière la plus douce possible.


Chacune des sessions de MIKE reprend l’action à l’endroit où la précédente s’est achevée, et non à l’identique. Comment est construite l’écriture de la performance ?

 

Dans ma loge, j’ai une table entière remplie de partitions, d’actions possibles pour parer à toute éventualité : si j’ai besoin d’aller aux toilettes, si je suis mal à l’aise, si quelque chose me gratte. C’est une boîte à outils. Je n'exécute rien de façon mécanique, je m’intéresse au processus et donne de la valeur aux expériences sensorielles. C'est la raison pour laquelle je n’explique pas ce que je fais. Au quotidien, je suis très souvent en retard, mais ce n’est que récemment que j’ai compris que c’était lié à ma manière d’investir le temps. Je suis lente, j’ai vraiment besoin d’expérimenter chaque chose. Si je le peux, je vais m’intéresser à la texture de la bouteille que je bois, à son aspect, sa chaleur. Tout ça prend plus de temps que si je me contente de l’ouvrir et de vider son contenu. Je vois comme un cadeau la possibilité d’explorer toutes les possibilités d’un objet ou d’une situation dans la durée. De la même façon, j’adore l’idée que l’on puisse entrer dans la performance à tout moment. Je cherche à offrir aux spectateurs la possibilité d’arriver en retard, de se détendre, de partir dans leurs pensées ou de faire une sieste, de ne pas être présents en permanence. Je sème des indices, mais moins je flèche la réception, plus il me semble que je prends soin des gens.


 > MIKE de Dana Michel, du 21 au 24 septembre à l'Arsenic, Lausanne ; les 3 et 4 octobre à Montévidéo, Marseille, dans le cadre du festival Actoral

Lire aussi

    Chargement...