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Après Le Grand Sommeil, portrait d’une enfance bien moins charmante que ce que les adultes adorent se raconter, puis _jeanne_dark_, performance pour Instagram sans contrôle parental, Marion Siéfert poursuit son travail d’enquête sur les rouages de la construction adolescente, entre affirmation de soi et imprégnation sociale. L’ambitieux Daddy (3h15 au compteur tout de même) s’immisce cette fois-ci dans les rapports jeunes filles/hommes adultes et contemple le carambolage entre Gen Z et mœurs pré-internet. 


Mara a 13 ans. Comme beaucoup d’ados de son âge, elle traîne sur les réseaux sociaux, se sent incomprise par ses parents, se trouve moche et rêve de liberté. Dans cette maison comme dans beaucoup d’autres, Papa oscille entre gêne et hyper-protection face à cette progéniture aux courbes naissantes et Maman prend tout ça à la rigolade. Et comme ailleurs, Mara et ses deux grandes sœurs n’échappent pas à la tentation d’essayer quelques jeux de séduction sur ce représentant de la gente masculine qui vit sous le même toit. Dès le tableau d’ouverture, la pièce de Marion Siéfert pointe avec précision les premières pierres qui fondent les relations des futures jeunes femmes aux hommes adultes. Mais depuis l’essor des réseaux, les murs physiques du foyer ne marquent plus les frontières des relations et des rencontres. Dans l’intimité de son écran perso projeté en avant-scène, Mara joue aux jeux vidéos en ligne. Les yeux rivés sur son avatar à la morphologie plus proche du hentai que de Mario Bros, elle converse avec ses partenaires de session. Alors que les parents discutent tranquillement derrière la toile, Mara pousse les échanges en MP avec Julien.

 

Poudre aux yeux

  

Par l’hyper-réalisme d’un échange en Facetime couvrant tout le cadre de la scène, Daddy nous met le nez sur les mécanismes subtils ou grossiers mis en place par ce trentenaire charismatique face à la jeune ado hésitante. Flatterie, autorité, connivence, belles promesses et dénigrement des parents : tout y est pour que l’ado et sa naïveté de circonstance mordent à l’hameçon. Depuis le naturalisme de la table d’apéro et de l’écran, simultanéité de l’attention que Daddy matérialise parfaitement dans l’espace, la teen romance de Mara glisse vers le métavers. Par une scénographie grandiose et pleinement investie par les corps, les amas de poudreuse scintillante figurent une application futuriste, sorte de peep-show 2.0 où des filles toujours plus jeunes épuisent leur fraîcheur. Sur cette plateforme tout juste métaphorique, Mara et ses consoeurs illustrent les dynamiques naissantes que la société bien réelle sèment dans la tête des sujets femmes en devenir. Par le jeu délibérément gauche de la très jeune actrice Lila Houel, par les cambrures poussées jusqu’au ridicule d’une Marylin juvénile, par le twerk d’une Avatar en bodysuit, toute la culture de masse d’hier et d’aujourd’hui semble avouer un même biais pédo-pornographique entièrement dévoué à la jouissance masculine. Mais plus encore que le spectateur imaginaire de cette scène-showroom, les numéros de charme se jouent ici à l’adresse de ces « daddies » qui agissent en bienfaiteur généreux auprès des  jeunes filles.

 

Celui de Mara n’est autre que Julien. Depuis les œillades grossières des vidéos en réseau jusque dans le monde parallèle de l’appli Daddy, la pièce déploie tout le processus de l’emprise amoureuse, ici doublement marqué dans les rapports de genre et d’âge par le surplomb du mâle effrayé par la perspective de son déclin. La flatterie se transforme en dette, l’affirmation de soi devient affront, l’expression d’une souffrance est reçue comme une insulte à l’ego du maître. Mais malgré sa précision, cette fable sordide pêche parfois par manichéisme : tout un courant féministe pense depuis longtemps la réappropriation de la sexualisation des femmes par elles-mêmes, et ces nuances manquent sans doute à Daddy. Dans ce long chemin de déconstruction pourtant, la fresque acide imaginée par Marion Siéfert apporte encore de précieuses munitions.


Daddy de Marion Siéfert

⇢ du 27 au 30 mars au Théâtre des Célestins, Lyon

⇢ les 4 et 5 avril au Maillon, Strasbourg

les 15 et 16 mai au Points Communs, Cergy-Pontoise

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