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Après avoir repris plusieurs monuments du ballet, vous abordez le théâtre. Pourquoi commencer par Hamlet ?

 

Dans mon solo The bitter end of Rosemary (2011), j’incarnais déjà Ophélie [éprise du prince Hamlet, elle sombre dans la folie et meurt de noyade - nda]. Je voulais raconter cette histoire différemment, en intégrant la communauté de personnages qui gravitent autour de cette figure. Et surtout, je voulais rendre accessible ce texte intimidant, complexe, verbeux. Quand j’ai étudié Shakespeare à l’école, j’ai détesté ça. L’anglais n’est pas ma langue maternelle et celui de Shakespeare encore moins ! Aujourd’hui, mon objectif est de traduire Shakespeare dans une forme simple – à la fois pour moi et les artistes avec lesquels je travaille, et pour les publics.


Vous incarnez donc à nouveau Ophélie. Comment a évolué votre interprétation depuis 2011 ?


Drastiquement. J’ai beaucoup appris des relations d’Ophélie avec son père et son frère, mais aussi du voyage émotionnel qui la conduit au suicide – et qui a tout à voir avec le fait qu’elle soit une femme. À l’époque shakespearienne, les femmes étaient considérées comme des moins que rien. Dans la pièce, Ophélie tombe amoureuse de cet homme, Hamlet, qui la rejette pour soi-disant la « protéger ». Elle s’énerve puis sombre dans la folie. La violence contenue dans l’œuvre est représentative de celle perpétuée par les hommes à l’encontre des femmes. En 2024, on pourrait penser qu’il n’y a plus tant de misogynie que ça, qu’elle s’est atténuée. Mais ce n’est pas le cas, c’est un effet d’optique.


Sur Instagram, vous avez d’ailleurs récemment posté cette phrase : « toutes les femmes en moi sont fatiguées ». Beaucoup partagent ce sentiment face à l’absence d’avancées sociales, ainsi qu’au « backlash » conservateur qui vise les luttes féministes.


La majorité des femmes peuvent en effet se reconnaître dans ce post. C’était lors de l’avant-première de la pièce, celle pour la famille et les proches. J’avais réalisé à quel point j’étais fatiguée en tant que danseuse, chorégraphe, mais aussi comme sœur et amie. Nous portons souvent le monde sur nos épaules et mon être entier était épuisé. Outre la fatigue, un autre sentiment m’a gagné : la peur. Les danseurs et moi-même étions terrifiés. Je ressens cela à chaque nouvelle pièce. Et c’est un indicateur : si cette peur n’est pas là, c’est qu’il n’y a pas d’urgence à créer.


Votre attention se porte sur les récits et vos pièces prennent toujours en charge une narration avec des personnages, des péripéties. C’est plutôt rare en danse contemporaine.

 

Je ne dis pas que je crée des ballets car, selon moi, le ballet comporte toujours une part de féérie et de fantastique. Mes pièces sont plus réalistes : si elles reprennent ces histoires, elles les ancrent toujours dans le monde contemporain. En travaillant une pièce, j’essaie de comprendre ce que les différentes parties de l’histoire entraînement émotionnellement – car ce sont les émotions qui tiennent le récit. Je chorégraphie en me demandant ce que vont ressentir les spectateurs. Je compose ainsi leur chemin émotionnel, l’intègre à la création.


Qu’est-ce qui vous attire vers des histoires qui ont déjà été écrites ?

 

Si je ne comprends pas quelque chose, ma responsabilité est d’y arriver. Quand je m’empare d’une histoire, je dis à mes danseurs : voici comment nous allons la raconter. J’aime aussi le challenge d’incarner un personnage, ce qu’il peut devenir dans mon propre corps. Pour moi, les personnages correspondent à différentes parties du corps : Juliette c’est le haut du cops, son innocence passe par les bras ; Carmen est plus viscérale ; Odette [héroïne du Lac des Cygnes] est faussement modeste ; quant à Ophélia, c’est une nymphe, fragile.


On perçoit sa vulnérabilité dans votre interprétation : vous vous mettez littéralement à nu. D’ailleurs, vous dansez dans toutes vos pièces. Qu’est-ce qui vous fait monter sur scène, encore et encore ?

 

Je suis avant tout une danseuse. Je me suis mise à la chorégraphie parce que je ne trouvais pas sur scène les récits que j’avais envie d’y voir. J’aime plus que tout raconter des histoires qui ne sont pas linéaires.


HAMLET de Dada Masilo a été présenté du 23 au 26 juillet dans le cadre du festival ImPulsTanz au Burgtheater, Vienne (Autriche)

du 3 au 5 octobre à De Singel, Anvers (Belgique)


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