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Sur le plateau nu et sombre du Teatro Foce de Lugano, un performeur se tient seul, assis de dos, immobile et tout de noir vêtu. Dépossédé de repères spatiaux, il semble mu par le paysage sonore qui le cerne peu à peu. D’abord, ce sont des bips électroniques – d’un téléphone fixe ou d’un ordinateur – qui provoquent chez lui de légères inclinaisons de tête. Dos courbé, bassin cambré, bras arqués vers l’arrière, jambes fléchies, hanches et colonne vertébrale désaxées : le danseur se contorsionne dans des postures qui défient l’anthropomorphisme. Ici c’est moins le son qui prend corps que la matière qui résonne.


Le minimalisme de Landless – « sans terre » – n’est pourtant qu’un leurre. Outre le dépouillement apparent de la scénographie, les micromouvements qui affleurent à la surface du corps de Georgios Kotsifakis sous la direction de Christos Papadopoulos n’est que la partie émergée d’un iceberg sensoriel. Repéré sur le circuit européen pour ses créations de groupe d’une obscurité ténébreuse, le chorégraphe grec donne ici à voir sa signature dans le détail. Certains de ses pas rappellent des danses urbaines comme le popping, mais son écriture se renouvelle toujours d’une séquence à l’autre. D’une précision horlogère, sa synchronisation en vient même à atteindre un point de perméabilité entre corps et sons. Mais c’est au niveau du visage que se lisent le plus de nuances. D’abord impassible, un regard à l’horizon passe d’ahuri à inquiet, perplexe puis espiègle, accentué par la contraction des muscles mimétiques.


À mesure que les nappes sonores se densifient, le spectre gestuel s’élargit. Un paradoxe se creuse alors : entre la surface visible du mouvement et son prolongement interne. Chaque réaction épidermique aux clashs métalliques de la bande son est décuplée par des secousses frénétiques rappelant, pêle-mêle, un glitch informatique, un match de ping-pong, ou une boule de flipper hors de contrôle. À fil de cette méticuleuse décomposition anatomique, c’est le corps qui s’objective et une étonnante empathie kinesthésique qui s’instaure avec le public.  


Mitraillé par des sons en rafale, les contrastes se renversent finalement dans le noir total. Enveloppée d’un léger brouillard, seule une lampe torche éclaire encore la silhouette du danseur. Une conclusion dans l’obscurité qui ponctue de façon presque trop évidente ce solo construit sur une atmosphère opaque. Reste qu’en donnant corps à une géométrie abstraite, Christos Papadopoulos tient ses paradoxes jusqu’au bout. Landless, comme Georgios Kotsifakis, disparait dans le néant, au son d’un battement de cœur étrangement humain.


Landless de Christos Papadopoulos et Georgios Kotsifakis a été présenté le 14 juin dans le cadre du festival Lugano Dance Project à Lugano (Suisse)

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