Du Lars von Trier à l’opéra ? Quelle idée ! Le réalisateur danois est connu pour son répertoire d’images violentes, crues, faisant peu cas du principe de bienséance. Sur scène, il n’y a pas (toujours) d’écran pour mettre à distance le spectateur des événements auxquels il assiste. Sans tomber dans le trash à tout prix, mais respectant la sensualité qui fait le sens du récit original, la version opéra de Breaking the waves déploie sous une forme nouvelle la puissance mystique et captivante du film.
Car, si c’est bien de sexualité qu’il est question dans cette histoire, celle-ci est extrêmement complexe et d’autant plus difficile à mettre en scène. Bess réside sur une île du nord de l’Écosse qui vit au rythme des messes et promet l’enfer à tous ceux qui vivent un peu trop intensément. Quand elle rencontre Jan, son amour prend des proportions hors-norme. À peine a-t-elle reçu la bague au doigt qu’elle se précipite dans les toilettes pour consommer son mariage, pressée de s’unir corps et âme avec son mari. À califourchon sur la cuvette d’une chiotte, l’héroïne conserve toute sa candeur. Son élan charnel est à la mesure de ses sentiments. Pourtant, si son couple est un Éden, Bess en sera vite chassée : son mari aura un accident qui le rendra paralytique. Bess pense alors pouvoir le sauver en couchant avec d’autres hommes. Débute une odyssée sexuelle qui n’aura de débouché que son propre sacrifice.
Là où Lars von Trier avait fait preuve de sobriété dans un film au réalisme froid, rendant impossible tout jugement définitif sur Bess — folle ? sainte ? naïve ? perverse ? —, la musique de Missy Mazzoli se veut plus empathique et la mise en scène de Tom Morris plus généreuse. Pour rendre sensible la sincérité ingénue du personnage (ce que Lars Von Trier parvenait à faire en focalisant l’objectif sur les yeux ronds et la mine d’enfant d’Emily Watson), on mise sur le jeu de la soprano Sydney Mancasola, qui donne de sa voix et surtout de son corps. Jusqu’au tableau final, où elle se retrouve en nuisette, suspendue par les poignets, sous un halo rouge, dans une esthétique proche du bondage : sacrifice christique avec un brin d’enjolivement érotique. Dans le manifeste de Dogme95, le mouvement cinématographique dont il s’est autoproclamé l’instigateur, Lars von Trier faisait des économies de moyen une règle d’or. Le déplacement sur une scène d’opéra de Beaking the waves penche au contraire du côté du spectaculaire. Ce qu’on perd en nuances psychologiques est regagné par la dynamique générale de la pièce, obligée par l’audace du sujet à sortir des sentiers battus.
> Breaking the waves mis en scène par Missy Mazzoli, du 28 au 31 mai à l'Opéra Comique, Paris
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