CHARGEMENT...

spinner

Dans l’espace scénique plane une copie du télescope spatial James Webb – le plus puissant jamais créé. La BO épique est signée Caterina Barbieri (déjà aux manettes du son d’Extra-life de Giselle Vienne). Y’a pas à dire : on y est, dans l’espace. Long d’une dizaine de mètres, arborant des voilages horizontaux scintillants et une parabole dorée reflétant la lumière, l’engin sur orbite fait son effet. Suspendue dans le vide, la bête tangue, tournoie et fait miroiter la fleur métallique qui lui sert à capter les messages extraterrestres. C’est par cette danse à forte charge émotionnelle que le metteur en scène belge Benjamin Abel Meirhaeghe lance sa Space Odyssey à lui. 

 

Sa clique de danseureuses-cosmonautes entrent en scène. Jupes larges, combinaison moulante en mesh, tabliers colorés noués par une cordelette, cales en laine sur la tête (semblables à des calottes médiévales), chaussettes hautes dans des baskets de randonnée ou des sabots : la panoplie vous rappelle quelque chose ? C’est le style néo-hippie qui a envahi nos villes. Si vous vous sentez concernés, venez donc choper de l’inspi. Comme pour ses deux opéras A Revue et Madrigals, Abel a choisi des costumes ultra-référencés pour brouiller les époques. Sommes-nous sur une plage marseillaise en plein été 2023 ou sur une exo-planète colonisée par les humains en 2078 ? Exit la temporalité précise, place au futurisme déluré made in Flandres.   

 

THE MEANING OF THINGS

 

A quatre pattes face au public, une des interprètes hurle d’informes borborygmes dans un silence absolu. L’effet rappelle le cri de désespoir du Moho de Kauai, ce petit oiseau rendu célèbre par une vidéo virale en 2022. Au cœur des forêts hawaïennes, le passereau s’égosille à la recherche d’une femelle qu’il ne trouvera jamais – l’espèce s’éteint cette même année 1987. Cette angoisse mêlée de tristesse que l’on ressent à l’écoute de ce chant a un nom : la « solastalgie ». Appel à l’accouplement d’un alien ou cri de solitude d’une femme perdue dans l’Univers ? Entre gêne et nostalgie, le spectateur se trouve confronté à cette voix comme à une puissance d’un autre type. 

 


Alors, oui, certains tableaux sont flottants, certaines chorégraphies imprécises, mais chaque moment d’indécision est ici récompensé par un autre de grâce et de bizarrerie. Plus tard, un performeur agite sa main – comme on allume un feu ou navigue sur les nouvelles Apple Glasses – sous une raie de lumière venant du ciel. Est-il un homme des cavernes ou un humain du futur ? Abel entend justement ébranler ces binarités archaïques : animalité/humanité, passé/futur, possible/impossible. Pour y parvenir, Shelly Shonk Fifitt se joue des contrastes et des anachronismes le temps d’une ronde joviale entre danseurs insouciants, entrecoupée de tableaux métaphysiques. La colonne vertébrale du vaisseau est un tronc d’arbre. Sous un télescope de pointe passe une roue en bois, mère de toutes les innovations techniques. Avec ou sans technologie, dans les étoiles comme sur la Terre, on pourrait continuer à s’épuiser comme ça, à vouloir comprendre le sens de toute chose. Benjamin Abel Meirhaeghe propose une autre voie tout à fait séduisante : lâcher prise. “We are tired of looking for the meaning of things”, scande l’un.e d’entre elleux. Ça tombe bien, nous aussi. 

 

Shelly Shonk Fifitt de Benjamin Abel Meirhaeghe a été présenté les 9 et 10 février au NTGhent, Gand (Belgique) :  

⇢ le 27 mars au Tandem, Douai 

⇢ le 30 mars au KVS BOL à Bruxelles 

Lire aussi

    Chargement...