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Le ventre ne serait-il pas l’indicateur tout trouvé de la masculinité toxique ? Oubliez le CSP. Donnez-moi votre IMC et je vous dirai qui vous êtes. Bien bedonnant pour ce PDG habitué à son entrecôte journalière. Les abdos saillants pour ce trader hyperactif. Mathilde Invernon l’a bien compris : le discours sort du ventre et non des lèvres. C’est le cas pour le bell end – le « connard » – que l’artiste met en scène. Lorsque le bell end s’exprime, c’est avant tout son ventre qui s’anime. Celui-ci se gonfle et se dégonfle mais la bouche s’ouvre à peine. On en oublierait même ce que le « connard » raconte : on ne voit que son bide. Et l’important, c’est d’occuper l’espace, n’est-ce pas ? Dans notre société patriarcale, le connard est assez fort à ce jeu-là. 

 

C’est pour s’exorciser de cette figure qui empoisonne l’époque que Mathilde Invernon tente une thérapie par la scène : réattribuer au bell end le rôle qu’il mérite, à savoir celui du bouffon de carnaval. Le rituel est simple. Au sol, une bâche blanche. En son centre, deux piles d’enceintes. L’interprète et metteuse en scène toise le public depuis un coin de scène et campe déjà son rôle. Baskets noires, cheveux gominés, costume gris à rayures et les expressions faciales qui vont avec. Au premier regard, on identifie la mine déterminée et égocentrée, la confiance de l’homme qui n'a rien accompli. Notre bonhomme souffle sur les retardataires, sourit béatement, conclut chaque mouvement par un rot. Le voilà rejoint par un collègue (Arianna Camilli) dans les mêmes dispositions. Tour à tour, les deux performeuses grimpent dans les gradins, bousculent les spectateurs, l’air conquérant, puis regagnent la scène, vissées sur des caissons. 

 

Là, face à face et dents serrées, le duo se jette à la gueule des chants de supporters de foot – et le public est hilare. En usant d’une palette de mimique ultra précises, le numéro appuie là où ça fait mal. S'ensuit un best of de répliques machistes, dans lequel on retrouve les fameux « fais pas ta timide » et « on peut plus rien dire ». Alors les rires se crispent : les blagues sur le harcèlement et les agressions sexuelles, c’est tout de même moins drôle. Pour désamorcer le malaise, rien de mieux qu’un peu de musique : ça sera un chant paillard. En l’entonnant, les deux bell ends quittent leurs airs bouffons et les comédiennes reviennent à elles-mêmes. La chanson raconte l’histoire de la petite Huguette violée sur une botte de foin par un étudiant en droit. À la fin, celle-ci en meurt.

 

L’illusion qui entourait la pièce s’est évanouie. Et c’est cette ambiguïté comique qui fait la force de Bell end. Mais que se cache-t-il derrière cette catharsis ? S’il est réconfortant de rire du connard, est-il juste de se moquer de lui ? Le tourner en dérision, n’est-ce pas aussi le dédramatiser ? Le connard fait rire, certes, mais il tue aussi. Tandis que la pièce touche à sa fin, le bruit d’une foule qui s’agrège envahit le plateau. Que viennent faire ces gens ? Peut-être : régler leur compte à ces deux types bien fiers d’eux-mêmes. À la fin des carnavals, il est de coutume de brûler la mascotte.

 

Bell end de Mathilde Invernon a été présenté les 11 et 12 mars dans le cadre du festival les Printemps de Sévelin au Théâtre Sévelin 36, Lausanne

 


⇢ le 18 mars dans le cadre du festival Artdanthé au Théâtre de Vanves avec le Centre culturel suisse On tour

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