Lawrence Abu Hamdan, Lina Majdalanie et Rabih Mroué, et bien d’autres : plusieurs créations du Moyen Orient datant d’avant le 7 octobre 2023 résonnent aujourd’hui avec une gravité inédite sur les scènes européennes. C’est cette même dissonance qui électrise notre réception de Dear Laila, installation imaginée par l’artiste palestinien Basel Zaraa. Créée en mai 2022, cette pièce interactive et sonore se découvre par session de 15 minutes, une personne à la fois, et retrace l’histoire familiale de l’artiste. Après la Nakba, ses grands-parents fuient en Syrie, à Yarmouk, plus grand camp de réfugiés palestiniens du pays. Deux générations y voient le jour avant que la guerre de Bachar Al Assad n’éclate et que le camp ne soit détruit. De la maison en ruines il ne reste que la clef. Destins parallèles des libanais et des palestiniens d’hier et d’aujourd’hui, encore bombardés. Vertige : la violence comme cycle infernal.
La fille de Basel Zaraa a cinq ans quand elle demande à son père à quoi ressemblait la maison de son enfance. En réponse, l’artiste imagine cette installation auto-biographique. C’est donc installé ) un bureau que nous procèderons à cette reconstitution. Le décor est sommaire : quelques photos de famille, une plante et une maquette de maison. Guidé par des instructions sur des petites cartes colorées, le visiteur fouille dans les tiroirs pour découvrir le récit familial. Devant lui, la propriété en béton est réaliste, des murs gris, sans apprêts, les câbles apparents. On les relie instantanément à ces images tristement médiatiques d’immeubles effondrés, libérant des nuages de poussière. Au plus près des aspérités du bâti, le destin familial narré dans un casque audio, la guerre n’est plus une réalité virtuelle, mais un concept tangible.
Située à hauteur d’enfant, Dear Laila est une œuvre de peu de moyens, bricolée avec les vestiges familiaux. Une simplicité légitime, même si l’on peut regretter un dispositif trop surligné : le jeu de piste bride quelque peu l’imagination et nuit à l’effet de découverte de certains souvenirs. Reste cette maquette sortie du chaos de la mémoire, traversant les frontières au rythme de la tournée européenne du spectacle. Une trajectoire qui fait écho à celle de Basel Zaraa : l’artiste fuit la Syrie sans visa en 2010 ; aujourd’hui le voilà parcourant le circuit culturel européen. Après la Nakba, sa famille n’a pourtant jamais obtenu la citoyenneté d’aucun autre pays. Un paradoxe que connaissent bien les réfugiés palestiniens à travers le monde, tous à moitié apatrides. Face à ce réel intenable, Dear Laila se pose en fragile miniature dans la tourmente – une poche de mémoire et d’humanité.
Dear Laila de Basel Zaraa a été présenté dans le cadre du festival AlKantara du 22 au 30 novembre au Palacio Galveias, Lisbonne (Portugal)
⇢ du 21 au 29 mars à Points Communs, Cergy
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