CHARGEMENT...

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En 1777, Jean-Honoré Fragonard peint Le verrou et l’œuvre devient immédiatement célèbre parce qu’emblématique de l’esprit libertin qui règne à l’époque. Elle représente deux amants enlacés dans une chambre à coucher même si, pour les historiens de l’art, c’est très possiblement d’un viol dont il s’agit. La même année, l’ambivalence de la passion amoureuse fait le sujet d’Armide, le drame héroïque créé à l’Académie royale de musique par le compositeur vedette Christoph Willibad Gluck. Le livret rédigé par Philippe Quinault raconte l’histoire de la puissante princesse Armide de Damas qui, triomphant des croisés à l’aide de la magie, fait enlever par ses démons, l’un d’entre eux, son ennemi le chevalier Renaud pour se faire aimer grâce à ses sortilèges. Cependant Armide, qui n’a jamais connu, ni souhaité l’amour, s’éprend du captif. Après avoir vainement convoqué le personnage de La Haine pour s’affranchir de sa passion, elle doit y céder tout en souffrant de ne devoir cet amour, non pas à ses charmes, mais à ses pouvoirs magiques.


La vérité du cœur s'écoute mais ne se voit pas

La passion est au cœur du livret et le mot amour y est répété d’innombrable fois. Si les paroles des chœurs – « Ah ! Quelle erreur, quelle folie de ne pas jouir de la vie ! C’est aux jeux, c’est aux amours qu’il faut donner les beaux jours. » – célèbrent les plaisirs de l’époque et de la cour de Marie-Antoinette qui se passionne pour l’opéra, le spectacle pose avant tout la question très actuelle de la violence et du consentement amoureux. Armide l’enchanteresse peut-elle légitimement être aimée dans la durée par un chevalier qui l’adore, certes, mais d’un sentiment obtenu par la contrainte ? Il faudra cinq actes au librettiste pour nous dire que le dilemme est moralement impossible mais celui-ci devient fascinant à suivre et surtout à entendre. Car que dire de la partition, sinon qu’elle est un chef d’œuvre mêlant arias, chœurs, ballets, récitatifs accompagnés par l’orchestre Les Talents Lyriques et son chef Christophe Rousset. Il faut observer en action la puissance de ce dernier ; les mouvements de ses mains à la fois ouvertes et tendues et surtout ses doigts agiles et précis, il n’utilise pas de baguette, pour savourer le rythme intense d’une direction d’orchestre qui ne connait jamais de temps mort. Les chanteurs sont à l’unisson. La soprano, Véronique Gens (Armide) y est bouleversante par ses écarts vocaux et par son jeu exceptionnel, de même pour le tourmenté ténor Ian Bostridge (Renaud) qui renonce momentanément à la gloire pour l’amour. Dans un opéra où les rôles secondaires occupent longtemps la scène, chacun est parfait avec une mention spéciale à la soprano Florie Maliquette pour son interprétation de Mélisse.





Tout serait extraordinaire si la mise en scène était en accord. Malheureusement, les costumes particulièrement kitsch, à l’exemple de La Haine, pourtant au chant parfait, vêtue d’invraisemblables bandes de tissus qui souhaitent imiter les grimoires ou encore de l’improbable coiffe d’Armide, rappel des fragments du moucharabieh qui, maladroitement, scindent l’espace dans le premier acte. La scène, avec des pendrillons et un plateau à effet miroir que l’on croirait empruntés à un défilé Thierry Mugler, encombrée d’un arbre qui rappelle le Barral de Game of Thrones mobilise bien trop d’espace. Les déplacements des acteurs et du chœur y deviennent laborieux et la metteure en scène Lilo Baur ne trouve aucune solution pour ajouter de la fantaisie à une intrigue qui  s’y prête pourtant à l’évidence. Reste le plaisir immense d’entendre et de voir tous les interprètes d’Armide, une joie très rare que nous offre l’Opéra Comique puisque le spectacle n’avait pas été offert au public depuis 1913.


Armide de Christoph Willibad Gluck, mise en scène par Lilo Baur, du 5 au 15 novembre à l’Opéra Comique, Paris