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Une boîte en carton dépliée occupe la quasi-intégralité de la scène, dans le studio rennais dAktuel Force, groupe historique de danse hip hop français. Ici et là, des découpages laissent deviner les usages qui en seront faits sous peu. Ici, le corps ne connaîtra aucune limite spatiale. La scénographie, signée Nadia Lauro, agit comme un espace dans lespace, ou un partenaire de jeu. Elle est podium, scène de duel, ou saloon pour divertir un cowboy découpé à même la boîte. Le carton, matière de l’éphémère, du ludique, du recyclage, est le matériau de ce ring du futur qui verra saffronter deux Cavalières Impures, Antonia Baehr et Latifa Laâbissi. Les battles complices peuvent alors commencer.

Le duo se lance au son dHob Aih (« Quel amour ?! »), classique de la diva égyptienne Oum Kalthoum. Le ton est donné : pas de pitié pour le romantisme régressif. Les deux fausses adversaires apparaissent en veste de costume, jambes nues et chaussettes longues. Le futur est inscrit sur celles de Latifa Laâbissi, en lettres vertes sur fond blanc dans une typo sportive. Antonia Baehr le porte sur une main vernie de rouge, incarnant une fluidité de genre tranquille, discrète. En quelques regards au public, le quatrième mur n’est déjà plus. Ce soir, cest cabaret et défilé de numéros. Cest aussi discothèque, comme lannonce un clin d’œil à une autre diva, française celle-ci, Brigitte Fontaine : « Dancefloor, je tadooooore ».

 

© Anja Weber


Dans ce mash-up, les références de lune contaminent celles de lautre. Après les divas, place au fameux décompte de Einstein on the Beach, opéra phare de Philip Glass (récemment remixé par Susanne Kennedy à la Villette). Sa suite de chiffres chantés sera le code dun face à face entre deux pupitres, typique des débats dentre-deux-tours présidentiel. Plus tard sur ce podium, cest la Marseillaise quon revisitera : cette fois-ci, rouge rime avec ménopause et rage avec Martine à la Plage. Plus loin dans le jukebox, on fait un tour du côté de la new wave teutonne avec Die Tödliche Doris : le temps dune impro autour de leur « Kavaliere », Antonia Baehr twiste le spectacle en jeu de rôle crypto-érotique. 

 

S’il peut laisser le spectateur hors-jeu par ses excès, ce zapping scénique a lavantage de son efficacité. En une heure seulement, il capture la force et lirrévérence qui unissent ces deux personnalités de la danse – là où leur précédente rencontre, Consul et Meshie, se donnait trois heures pour explorer la dichotomie nature/culture. Ici, les citations surabondent, certes, mais le grotesque, la grimace et la danse les transforment toutes. Une des plus marquante, les Two Men Dancing de l’Américain Robert Mapplethorpe – cliché de deux hommes couronnés dansant nus , subit le même traitement : on identifie instantanément limage, au détail près qu’Antonia Baehr s’est équipée pour cette danse d’une ceinture-pénis. Provenant de liconographie LGBT, la photo dorigine est ici détournée pour traduire leuphorie de deux femmes à la veille de leur ménopause. Ultime gag scénique dans cette furieuse playliste, nos deux cavalières se célèbrent accueillant la maturité sans drame, comme pour rire, au défi des assignations d’âge et de genre.

 


Cavaliers impurs de Antonia Baehr et Latifa Laâbissi, du 14 au 16 novembre dans le cadre du Festival d'Automne au CND, Pantin



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