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Un slide show en fond de scène, un pouf sur le côté et un performeur en chaussettes avec une télécommande. Pas de doute, nous voilà réunis pour une séance de formation – à peu de choses près. Antoine Defoort n’en fait aucun mystère : « On est là pour travailler », introduit-il. Et l’objet du jour est pointu : quelle forme pour quelle fonction ? Cela paraît vague mais la question est cruciale : nous sommes tous des « designers » du quotidien, le gros de nos activités consistant à trouver un moyen pour parvenir à des fins. Exemple : un spectacle est un véhicule pour divers concepts. Ou encore : la critique que vous lisez est une façon de rendre compte d’un spectacle et de le mettre en perspective. Vous avez l’idée.

C’est sur cette base que le comédien se jette dans Sauvez vos projets avec la méthode itérative, conférence performée et joyeusement branlante sur les bords. Sa matière : une liste de trucs que l’artiste affectionne – gratins et pandas en tête –, la fabrique de son propre show et quelques emprunts savants. Le ton est familier, l’esprit intello-ludique et les idées abordables. Antoine Defoort est à l’aise dans ce registre, lui qui est issu de l’Amicale Prod, collectif lillois expert en démonstrations barrées. Sa forme scénique aussi est rodée : la pédagogie parodique et les détournements de TED Talks constituent un genre en soi sur le marché des seuls-en-scène. Un terrain concurrentiel, donc.

Et Defoort s’en tire plus que bien. Tout d’abord parce qu’il se frotte à une problématique de « niche » mais saillante : le rôle des formes que prennent nos existences. En ces temps d’ubérisation globalisée et de règne de l’immersif, les intermédiaires disparaissent. Nous accédons à tout sans filtre mais nos styles de vie et nos idées en pâtissent. Une chercheuse américaine, Anna Kornbluh, l’a théorisé cette année dans un essai : le capitalisme vise l’immédiateté et sèche la mise en forme. Selon elle, fini l’ère du « medium is the message », nous voilà dans celle du « medium is the missing ». À leur échelle, les gags et analogies de Defoort saisissent ces enjeux : un slide de couleur arc-en-ciel illumine une idée, et un réquisitoire célèbre les métaphores, ces « vaisseaux spatiaux » auxquels il faudrait « consacrer un Top Chef ». Voilà de quoi rétablir, avec humour, la valeur de la médiation par la forme voire son sens politique. Et ce sans jamais perdre l’auditoire, captivé par le déroulé de la séance.

Enfin, si Antoine Defoort réussit son coup, c’est parce qu’il a la posture modeste. Sur la casquette qu’il garde vissée au crâne, un slogan opère comme un rappel : « En fait, j’en sais rien. » Ça ne fait jamais de mal de l’affirmer : un artiste n’est pas un vloggeur en plein tuto, ni un relais de savoir universitaire, ni même un vulgarisateur du dimanche. Si Defoort manipule de la théorie – du bout des doigts, comme cette citation imbitable de l’éminent penseur Clément Rosset –, s’il jongle avec des hypothèses – farfelues, glissantes –, c’est pour provoquer des petits backflips poétiques chez les spectateurs. Sauvez vos projets ne prêche pas grand chose, si ce n’est d’injecter un peu de la Pataphysique d’Alfred Jarry dans les codes du coaching et de l’ingénierie, le tout avec humilité et dérision. Parce qu’on n’est quand même pas venu pour travailler, n’est-ce pas ?


Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative de Antoine Defoort a été présenté du 3 au 21 juillet dans le cadre du OFF Avignon au Train Bleu


→ du 8 au 10 octobre au Maillon, Strasbourg 
→ les 28 et 29 avril à la Rose des vents, Villeneuve d’Ascq

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