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Compétitifs, misogynes, déconnectés du réel et irascibles à souhait. Les clichés qui entourent les gamers ne sont pas franchement flatteurs. Au risque d’enfoncer le clou pour les adeptes de la manette, Alice Laloy érige le nerd en archétype du monde comme il ne va pas. Avec Le Ring de Katharsy, l’artiste formée à la marionnette orchestre une immersion à échelle humaine dans l’univers du jeu vidéo, devenu allégorie en mouvement des dérives autocratiques. Jusqu’où faudra-t-il pousser le curseur pour faire bugger le système ?


Sur un plateau plongé tout entier dans un gris crayeux et un loop métallique, deux gamers en survêt’ d’ados tardifs trépignent. Bientôt, sur le ring de 6 mètres sur 6, délimité au centre de la scène par de simples lignes blanches, ils vont pouvoir jouer à la guerre. Seul hic, ici pas d’avatars, mais des humains en chair et en os, dépossédés de leur voix et livrés comme des cailloux sur un chariot de chantier. En arrière-plan, une cantatrice façon méchante de Disney surmonte une immense robe à crinoline, plus château que meringue. Fidèle aux déroulés des Tekken et autres jeux de combats, la grande soliste présente le catalogue des personnages disponibles, avant d’annoncer l’ouverture du match d’une voix passée au vocodeur. Dans une gestuelle plus robotique que nature, les six avatars répartis en deux camps prennent place dans l’arène. Le regard vide, les bras pendants et la démarche mécanique d’une cheville verrouillée achèvent, par une impeccable maîtrise technique, de nous faire basculer dans le monde virtuel.



© Simon Gosselin



Casimir a pété les plombs


Black Friday, Enjoy your meal, Pick me : avec des titres qui fleurent bon la mondialisation et le suremballage, les deux pelotons constitués s’affrontent dans des épreuves d’habillage contre la montre, de déballage de colis ou de tri dans la poubelle jaune. Les règles de non-violence sont claires, rappelées à intervalles réguliers par la grande dame d’orchestre, mais rien n’y fait. Aveuglés par le décompte des points qui s’affichent sur un prompteur tombé du ciel, les deux rivaux passent vite aux coups bas et aux injonctions brutales, rivalisant surtout de vulgarité et d’indifférence face à l’épuisement manifeste des personnages trempés de sueur. Devant le triste spectacle de ces deux enfants-rois restés attachés à leurs caprices bien après les premiers poils sur le menton, devant les faces défaites et les souffles courts des pantins rappelés à leur réalité d’humains, Le Ring de Katharsy condamne son public à l’empathie impuissante, jusqu’au malaise. Sauf qu’ici comme à l’Élysée, une règle fait loi : à trop pousser sur la manette, la machine plante et le jeu dérape.


Portée par une équipe pluridisciplinaire venue du théâtre, de la danse, du cirque acrobatique, du chant lyrique ou du gamedesign, la création d’Alice Laloy réussit avec brio à traduire sur scène l’esthétique du jeu vidéo, sans virer au pastiche ou à l’imitation grossière. Par la scénographie monochrome vidée de ses bords grâce aux jeux de lumières, par les ambiances sonores hypnotiques, par l’hyper-stimulation nerveuse d’un prompteur devenu table de loi, Le Ring de Katharsy parvient à faire discours depuis le sensible. Une subtilité à peine alourdie par les intermèdes lyriques entre chaque round. Mais rien de tel qu’une partie dans le monde dystopique du tout-gris pour faire renaître les plus pures envies de couleurs, de douceur et de liens. Reste à nous souhaiter que le happy end imaginé par Alice Laloy parvienne lui aussi à dépasser le cadre du virtuel.



Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy a été présenté du 20 au 29 novembre au TNS, Strasbourg

⇢ du 5 au 16 décembre au T2G, Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

⇢ les 9 et 10 janvier 2025 à La Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq

⇢ du 26 au 28 février à l’Olympia, Tours

⇢ les 13 et 14 mars à la Scène nationale de Malakoff, dans le cadre du festival Marto

⇢ les 20 et 21 mars au Théâtre d’Orléans

⇢ les 3 et 4 avril au Théâtre de l’Union, Limoges

⇢ les 9 et 10 avril à la Comédie de Clermont-Ferrand

⇢ du 23 au 26 novembre au Théâtre de la Cité, Toulouse

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