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Il est tout à fait possible de raconter une histoire qui n’a aucune forme de cohérence. Et cela peut même être très réjouissant. Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume, comédien et musicienne, y parviennent magistralement en bidouillant des écrits de Franz Kafka, en mélangeant des bouts de récits, des sketchs parfois pas finis, des personnages absurdes et des scènes sans queue ni tête. Leur Ainsi la Bagarre est une histoire complètement « Frankensteinienne », pour reprendre le mot du comédien qui nous met en garde avant de commencer le spectacle.


Tout commence dans un univers de laboratoire un peu glauque. Un carrelage blanc sali recouvre le sol et un mur dressé au milieu de l’espace. S’y découpe une porte beaucoup trop grande et une petite bouche d’aération carrée qui crache de la fumée. Sur une table, sont disposés en pagaille un réchaud et une casserole, des micros, des câbles, un masque et un instrument de musique électronique qui ressemble à une radio. C’est au milieu de tout ça qu’on rencontre Madame Olala et Monsieur Pré Fleuri, deux protagonistes qui semblent plutôt à l’aise avec la fragmentation du récit. Lui, habillé en costume poussiéreux, se dit réparateur de père en fils, se déplace comme Charlie Chaplin et tente de comprendre comment le savoir-faire de sa famille s’est perdu. Elle, les cheveux devant la figure et deux yeux ronds de papier collés dessus – ce qui lui donne un air étonné – en pince un peu pour le bonhomme. Mais sitôt apparus, les personnages disparaissent après leurs scénettes pour ressurgir plus tard, entre deux récits mystérieux ou banals, racontés avec des mots, des gestes et des textures musicales proches du bruitage. 


Alors comment ne pas être totalement désarçonnés par cette constante surenchère d’histoires disparates ? Comment s’y retrouver dans ce bordel si intelligent ? D’abord en riant, car dans Ainsi la bagarre on n’a pas fini de se marrer. Puis, en se laissant porter. Enfin, en admettant qu’accepter l’incohérence est probablement la meilleure manière de comprendre ce récit kafkaïen.


Par extension, on finit par se dire qu’on pourrait tout aussi bien appliquer cette méthode à nos propres vies et se réjouir plus souvent de laisser sa raison au vestiaire. Sur ce point-là, Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume, ne manque pas de laisser quelques pistes au milieu de leur bazar : « notre monde est éclaté, un peu comme nos histoires » lançait l’un, entre deux anecdotes, « qu’en est-il du monde s’il ne peut être réparé ? » répondra l’autre, à un tout autre moment du spectacle. Réparer le monde en miettes, notre réparateur de père en fils et la femme étonnée ont abandonné cette idée au profit d’une manière de naviguer : à tâtons et sans direction claire. La pièce s’achève d’ailleurs avec un moment de butô, danse japonaise des ténèbres, comme pour nous dire que même dans l’obscurité, il est possible de tracer son chemin.

 

> Ainsi la bagarre de Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume a été présenté au Nouveau Théâtre de Montreuil du 6 au 8 décembre dans le cadre du festival Mesure pour Mesure ; du 6 au 16 janvier au Théâtre de l’Aquarium, Paris ; les 1er et 2 février à l’Empreinte, Tulle ; du 23 au 26 mars au Théâtre Garonne, Toulouse

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