Vos précédentes créations étaient en partie autobiographiques. Dans Carte Noire nommée désir, pour la première fois, vous mettez en scène une polyphonie de témoignages. Pourquoi avez-vous fait, cette fois, le choix d’un récit pluriel ?
Je voulais affronter plus directement la condition de la femme noire. Face à la pluralité des expériences, des discours et des violences quotidiennes, j’étais consciente que mon seul « je» ne pouvait plus suffire. Le fait d’être noire nous touche à pleins de niveaux : dans notre santé, nos sexualités, nos relations familiales ou professionnelles... Le meilleur moyen d’en parler, c’est de laisser surgir des intimités. À huit sur le plateau, nous pouvons faire exister la complexité de nos trajectoires, qui dessine en creux, un parcours similaire: nous avons toutes en commun d’être essentialisées par la société.
Vous jouez sur la tension entre répulsion et hyper-adhésion. Une scène de banquet scatophage est ainsi suivie d’un twerk collectif. Pourquoi articuler ces deux extrêmes ?
Le lien entre le banquet et la scène de twerk vient du fait que nous, femmes noires, sommes constamment comparées à de la merde ou à du chocolat. Mais la tension évoque plus généralement les injonctions contradictoires qui ne cessent de peser sur nous. D’un côté, la société nous renvoie à une hypersexualisation, tandis que nous sommes soumises à l’injonction de respectabilité de nos familles. Nous avons des rapports conflictuels avec la société blanche, mais aussi au sein de nos communautés. Le twerk incarne bien cette ambivalence : cette danse rejoue la fétichisation de nos corps mais les jeunes femmes noires cherchent à se réapproprier cet héritage. Nous voulions pousser cette scène jusqu’à l’épuisement, pour que le malaise soit partagé par les performeuses et les spectateurs.
La scène d’ouverture vous montre dans une situation de vulnérabilité presque enfantine, alors qu’à la fin, vous apparaissez comme une figure structurante. Cette Carte Noire s’apparente-elle à une réparation ?
Absolument. L’expression de « flamboyance», lancée par le collectif afro-féministe Mwasi, nous a beaucoup inspirées pour l’écriture du spectacle. Ce terme, qui désigne l’empuissancement des femmes noires, emprunte son nom à un arbre, très beau et très solide. À travers la mise en commun de nos récits, et tout le processus de transmission et d’éducation que nous avons construit autour, nous voulions ériger notre propre flamboyant.
Propos recueillis par Agnès Dopff
> Carte Noire nommée désir de Rébecca Chaillon, du 1er au 4 décembre au Théâtre Dijon Bourgogne; du 9 au 11 décembre 2021 au Maillon, Strasbourg; le 16 janvier à La Rose des Vents hors les murs, Lille, dans le cadre du festival Dire ; les 21 et 22 février au Carreau du Temple, Paris, dans le cadre du festival Everybody ; le 25 février au Phénix Scène Nationale, Valenciennes ; du 9 au 11 mars aux Subsistances, Lyon ; le 1er mars à la Scène Nationale d’Orléans ; le 24 mars à la Maison de la Culture, Amiens ; du 6 au 9 octobre au Théâtre Vidy-Lausanne, Suisse ; du 12 au 17 décembre au Théâtre Public de Montreuil ; du 21 au 23 février 2023 au théâtre Les 2 Scènes, Besançon
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