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Il s’en est fallu de peu, en mai 2022, pour que la mairie de Paris renonce à abattre deux de ses arbres centenaires situés aux pieds de la tour Eiffel en vue d’un réaménagement pour les prochains J.O. En ville, la population végétale est minoritaire, illégitime, en sursis, obligée de se cacher pour survivre. Les photographies de l’exposition Mauvaises Herbes déclinent les différentes manières d’exister de ces plantes qu’on qualifie « d’invasives » et qui peinent pourtant à se répandre.


Herbier social 


Une passante regarde une friche verdoyante à travers le trou d’une palissade de chantier et nous, derrière ce tirage, la regardons regarder. Elle ne peut pas gambader dans ce coin de nature, contrainte de se placer en observatrice extérieure. Cette première photographie, signée Geoffroy Mathieu, pose le thème de l’exposition : la friche n’a pas de légitimité en elle-même. Elle est toujours un à-construire, menacée par un tissu urbain qui mange tout sur son passage. Une autre série évoque cette nature piégée, moins invasive qu’envahie : celle d’Edith Roux qui place son objectif au ras d’un champ truffé de mauvaises herbes, laissant deviner en arrière-plan les silhouettes colossales d’une zone industrielle avec son Ikea, son Norauto et son McDonald’s.


La ville et le vivant, le macadam et le végétal, le gris et le vert : une contradiction évidente. Malgré cela, le paysagiste et photographe Simon Boudvin arpente l’Est parisien entre Montreuil et Bagnolet à la poursuite des ailantes, ces arbustes qui jouent des coudes entre les pavés. Au format carte-postale, ses clichés se déploient en désordre sur les murs de l’exposition. Ici, un pied a poussé entre deux poubelles et des encombrants. Là, quelques tiges se frayent une existence dans une jungle de sacs plastiques sous une barre d’immeuble. Son travail, qui le mène parfois à border le périph’, décrit moins une harmonie bucolique qu’un craquement de la société urbaine. Ces plantes squatteuses deviennent la parabole de la difficulté de s’épanouir – en tant que végétal ou qu’humain – dans nos architectures brutalistes.


Un ailante du 93 @ Simon Boudvin


Cagoules et prairies 


Droite dans ses bottes en caoutchouc, une forêt dans le dos, une jeune femme fixe l’objectif. Sur une autre photographie, une cabane composée de bois et de bâches avec un graffiti « Acab », sans doute son logement, plonge cette vision sylvestre dans un rapport de lutte et de contestation. La série Bure ou la vie dans les bois de Jurgen Welzger immortalise les visages d’Allemands et de Français venus défendre une forêt de la Meuse condamnée au stockage de déchets nucléaires. Une partie des photographies sélectionnées par les commissaires Luce Lebart (historienne de la photographie) et Nathalie Giraudeau (directrice du CPIF) aborde la question des ZAD, ces zones à défendre contre des projets d’exploitation destructeurs pour l’environnement. Loin de la couverture sensationnaliste qu’en font les médias dominants, Bruno Serralongue photographie un autre visage de l’éco-activisme à Notre-Dame des Landes : celui de naturalistes bénévoles qui ont inventorié les espèces présentes du site et ainsi contribué, comme Rémy Fraisse – botaniste de 21 ans tué lors d’affrontements avec les forces de l’ordre – à l’abandon de la construction de l’aéroport. De quoi se demander qui, des mauvaises herbes ou de ceux qui les arrachent au prix de vies humaines, mérite le décapant.


> Mauvaises Herbes, exposition collective jusqu’au 23 avril au Centre Photographique d’Île de France à Pontault-Combault.

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