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« Ça a l’air d’une blague, mais j’ai rencontré Étienne nu sur l’île du Levant. » Dans les chemins escarpés, sauvages et naturistes de ce petit bout de terre méditerranéen de la commune de Hyères, l’écrivain Simon Johannin fait, effectivement, la connaissance d’Étienne Ciquier. L’écrivain et le guitariste travaillent sur un tournage organisé par Jean-Pierre Blanc. L’un a co-écrit le scénario, l’autre compose la musique du film, en plus d’y jouer un rôle. C’est dans ce contexte que les deux jeunes hommes collaborent pour la première fois. Lors de la présentation du film, ils se lancent dans trente minutes d’improvisation : les accords de guitare ambient d’Étienne, se fondent sur la voix rauque du poète. S’ensuit l’envie de se revoir, de recommencer. Parce que ça sonnait bien. Simon Johannin, d’habitude mitigé par le format de la lecture, entend ses textes prendre une nouvelle ampleur. Indirectement, cette collaboration dessine la trajectoire qu’ils ont en commun : d’un calme rural à la frénésie urbaine, après des enfances passées dans le Tarn pour l’un, et en Basse-Normandie pour l’autre. Entre la quête d’une terre utopique et le désir de raviver les mythologies enfouies de la cité, le binôme livre une performance inédite, Notes sur la ville, entre les murs de verre de la Fondation Cartier à Paris.

 

Votre performance laisse entendre que vous avez, chacun, un rapport très sensoriel à la ville. Comment avez-vous vécu votre passage d’un espace rural à un espace urbain ?

Simon Johannin : « Je suis issu d’un milieu où la ville, tout simplement, n’existe pas. Ma rencontre avec la ville s’est faite tardivement et ça a été un choc esthétique. Quand j’ai emménagé à Ivry, le soir aux alentours de minuit, le paysage m’a fait halluciner. C’est un côté de Paris où l’architecture évoque comme une nostalgie de l’URSS, des manières de construire que je ne connaissais pas du tout et que je me suis beaucoup amusé à explorer.

Étienne Ciquier : « Sur ce point, on se ressemble un peu. J’ai grandi en Basse-Normandie, et quand je suis arrivé à Paris à 18 ans, je n’étais pas préparé à ce genre d’environnement. Je ne suis pas très extraverti, mais j’ai très vite ressenti le besoin de fredonner dans le métro. J’essayais de trouver mon rythme dans celui de la ville. C’était une manière de me faufiler et d’exister à travers cette entité, quitte à avoir l’air un peu bizarre.

 

Simon Johannin, vous avez écrit deux romans, l’un se situe à la campagne (L’Été des charognes), l’autre à Paris (Nino dans la nuit). Avec le recul, vous pensez que ces deux univers peuvent faire monde ensemble ?

SJ : « Étienne comme moi, nous sommes devenus des spécimens urbains, et en même temps, notre lien à la nature reste essentiel. Dans Notes sur la ville on recherche un agencement idéal entre l’espace citadin et les éléments naturels. Est-ce qu’il existe un endroit où les deux univers palpitent ensemble ? Si non, est-il possible de l’inventer ? C’est aussi se demander quelle magie et quelles formes de néo-chamanismes peuvent être créées à partir des formes urbaines. Quand des choses sont entassées les unes sur les autres, des secrets se forment. J’ai voulu fouiller ces secrets avec l’idée de réveiller les génies des villes.

EC : « Que ce soit dans des contre-allées, dans des chantiers, dans les friches – tous ces lieux qui a priori n’ont pas d’intérêt – il se passe toujours quelque chose. Mais la plupart des gens vivent sur des rythmes qui ne leur permettent pas d’y prêter attention. Cet univers-là, ces strates, ces marginalités, ce qui se passe sous la peau de la ville, nous a fasciné.

 

 

Le titre de votre performance donne envie d’en savoir plus sur la manière dont vous avez recueilli ces « notes ».

SJ : « Pour moi, le collectage est passé par beaucoup de déambulations. Je ne sors pas de chez moi en me disant que je vais chercher l’inspiration, je me mets plutôt dans un état de porosité au quotidien. Lors de moments tout bêtes, en faisant mes courses, en séchant des draps au Lavomatique, je fais attention à mon entourage, à ce qui m’est proposé. Dans ces notes, il y a une inspiration méditerranéenne : une partie du texte a été écrite sur l’île du Levant. Je suis toujours très perméable au paysage au moment où j’écris.

EC : « Le fait d’être attentif aux petites choses... La façon dont des détritus vont être agencés : une canette écrasée par terre donne un côté un peu situationniste. On fait le choix d’aller dans des endroits qui bougent, où il peut se passer quelque chose. Ce n’est donc pas un hasard si on s’est retrouvés à Marseille, il y a dans cette ville une atmosphère bouillonnante, une vraie mixité : les gens vivent ensemble, et pas seulement les uns à côté des autres. 

 

> Notes sur la ville d’Étienne Ciquier et Simon Johannin, le 22 novembre à la Fondation Cartier pour l'Art Contemporain, Paris, dans le cadre des Soirées Nomades

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