Makamisa : phantoms of revenge de Khavn (2024)
Poème filmique réalisé à partir d’archives en 35mm, Makamisa s’articule autour d’un roman inachevé de l’écrivain révolutionnaire philippin José Rizal, fusillé en 1896. Mises en musique par l’érudit journaliste/musicien David Toop et le cinéaste lui-même, les images conservent de la prose anticoloniale un trip visuel hallucinatoire et envoûtant, dont les images ont été colorisées et grattées à même la pellicule. Épiphanie poétique, Makamisa donne le sentiment de découvrir un trésor exhumé de la préhistoire du cinéma.
Chronicles et The Drifter de Pat Rocco (1968 à 1974)
Activiste et pionnier du cinéma gay, l’italo-américain Pat Rocco (décédé en 2018) avait tous les atouts pour réussir à la télévision : empathique, charismatique, et des cheveux gominés à la Elvis. Après des premiers pas dans le showbiz via des télé-crochets en Californie du Sud, il s’improvise photographe de nu masculin, puis cinéaste érotique amateur. Réalisés en 8 ou 16 mm, ses films sont des romances à l’eau de rose tournées entre Disneyland et les échangeurs routiers de L.A., qu’il vend comme des petits pains sous pli discret dès 1968. D’un érotisme camp pré-hardcore, ces bobines faites maison aux génériques dessinés à la main rayonnent de candeur. Dans les chroniques documentaires où il se met en scène, il se démarque par la bienveillance avec laquelle il filme ses sujets, y compris ceux du camp adverse. Dans une volonté dialectique, il donne la parole alternativement aux gérants homophobes d’un bar « interdit aux pédales » (Sign of Protest, 1970), à un danseur strip-teaser noir arrêté sans justification par la police (Meat Market Arrest, 1970) ou à un transsexuel qui livre un témoignage poignant (Changes, 1970). Il filme également l’une des premières Gay Pride à San Francisco dans un élan d’insouciance qui se dissipera avec l’irruption du SIDA. Tourné en 1974 pour une poignée de dollars, son unique long-métrage, Drifter, relate l’errance d’un gigolo bisexuel débarquant en Californie, dans le sillage de Macadam Cow Boy, film à succès de John Schlesinger en 1969 avec Jon Voigt et Dustin Hoffman. Davantage que de simples curiosités, ces chants d’amour made in USA exaltent la liberté, la joie et l’utopie : un acte de résistance pacifique face aux discriminations.
Lord Spikeheart
Adieu frivolité, place au déluge noise-rap-DeathMetal du Kenyan Lord Spikeheart, clairement la star du LUFF 2024. Et on ne badine pas avec les lions du Kenya ! Fer de lance de la scène métal extrême de Nairobi et collaborateur régulier du label Nyege Nyege, Martin Kanja s’est fait un nom en quelques années sur le circuit des musiques électroniques. La puissance insurrectionnelle qui se dégage de ses vociférations et de ses blast beats a mis la salle à sac. Un cri d’amour et de guerre à la face du colonialisme et de toutes les oppressions, héritage du soulèvement des Mau-Mau dans les années 1950.
Luka Aron
Originaire d’un patelin allemand, désormais installé à Stockholm, Luka Aron délivre des compositions électroacoustiques qui vous chavirent par leur beauté. Ses amples et longs mouvements d’instruments à vent prennent forme à plein volume dans l’espace. Clarinette, contrebasse, tuba, corne de brume, clavecin, orgue à bouche, trompette et serpent font corps en une masse sonore à la fois puissante et nuancée, sans jamais jouer le « passage en force » ou la facilité du drone statique. Les attaques de clavecins et les drones d’instruments à vent se confondent aux synthétiseurs modulaires, avec relief. Serait-ce donc Guillaume de Machaut revisité conjointement par Boards of Canada et SunnO))) ?
Billy Bao
Vrai-faux groupe de free-punk porté par le basque Mattin et son complice Alberto Lopez, Billy Bao met en pratique ce que Mattin théorise depuis de longues années, à savoir le bruit comme expérience de « dissonance sociale » (c’est également le propos du workshop qu’il a mené en parallèle pendant toute la durée du festival). Pour ce concert qui ouvrait le bal, percussions, batterie, basse électrique et micros sont laissés à disposition du public, entraîné par Mattin et Lopez dans une jam session cacophonique aux allures de manifeste. Enjoints à se lâcher, les spectateurs se sentent pousser des ailes, braillent dans le micro, frappent comme des dératés sur les caisses claires et se roulent par terre comme des marmots dans une cour de récré. Libertaire et décomplexée, cette ode à l’« expression libre » se solde par un réjouissant n’importe quoi.
Handle
Trio de Manchester, Handle était peut-être le seul groupe du festival à jouer avec des instruments rock « classiques », quoique débarrassé de la sempiternelle guitare. Lignes de basse proéminentes aux inflexions dub, polyrythmiques complexes à contretemps - avec un goût prononcé pour les cowbells -, synthé dissonant et poésie chantée-clamée, dans un esprit post-punk enlevé et dansant qui réactive au présent l’axe Talking Heads / DNA / A Certain Ratio / This Heat. Le trio (ré-)invente la samba no wave, angulaire et concise, exécutée avec une classe propre à la scène DIY british.
Shredded Nerve
Synthèse de drone post-industriel, d’électroacoustique et de harsh noise psychédélique, Shredded Nerve – projet solo de l’américain Justin Lakes, connu dans la niche expé – maintient un contraste constant entre collage de bruits concrets qui écorchent violemment l’oreille et harmoniques d’une grande beauté. On est ici très loin du seul exutoire par le boucan agressif et rentre-dedans, mais dans une démarche quasi conceptuelle. Assis derrière ses machines avec l’air de ne pas y toucher, Lakes déploie une composition complexe, des boucles de field recordings émaillées de chausse-trappes inattendus et de micro-détails à la précision chirurgicale.
Manoir Molle
Manoir Molle est le projet solo de Marion Molle qui interprète sur son PC des sonates postmodernes sans queue ni tête. Clarinettes, cors et flûtes de Pan synthétiques, musique de chambre évadée d’une console SEGA, ostinatos de clavecin MIDI démantibulé, Moondog propulsé dans le monde de Zelda, Poulenc & Satie revu et corrigé par la vaporwave selon un certain absurdisme poétique. Manoir Molle, c’est un peu l’équivalent musical des strips de Kamagurka et Herr Seele : un régal d’absurdité joviale et d’inventivité nerdy qui déjoue l’esprit de sérieux par le flegme et le détachement. Une bouffée d’oxygène après la suffocation des infrabasses.
Le LUFF 2024 - Lausanne Undergroung Film & Music Festival a été présenté du 16 au 20 octobre à Lausanne, Suisse
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