Un portrait extrait du supplément dédié à Nord Sonore.
« Ok, mais veille à ce que ça ne soit pas de la daube. » Lorsque Genevieve Murphy, alors étudiante en composition, annonce à son tuteur académique de La Haye qu’elle veut se lancer dans la chorégraphie, c’est la réponse qu’elle récolte. Pédagogie à la hollandaise sans doute. Qui s’est avérée payante puisque l’Écossaise, promise aux ensembles contemporains, s’aventure dès lors dans les arts vivants. Aujourd’hui, ses créations mêlent univers sonore et narration perso, et l’impliquent physiquement. « Il fallait que ça soit moi qui incarne ces histoires sur scène », juge l’artiste de 36 ans. Et voilà comment une bonne élève d’école de musique mute en performeuse capable de pisser dans un vase comme de faire hurler une cornemuse, nue sur scène. « Le vase était en métal, il fallait que ça fasse du bruit – c’était aussi une pièce sonore après tout », pose-t-elle, sensément.
Car le mobilier et le domestique importent à Genevieve Murphy, qui recompose souvent des environnements intimes dans ses performances et révèle leur étrangeté. « J’ai une sorte de rituel quand je rentre chez moi : indécise, je m’assois sur le sofa, dans le noir, sans quitter mes habits de ville. Je peux rester un bon moment figée comme ça, seule. Cette obscurité est-elle un safe space ? Qu’est-ce qui peut en émerger ? » Espace intime coïncide donc avec espace mental pour la compositrice-performeuse, dont le travail traite souvent des troubles psychiques et de l’empathie qu’ils peuvent inspirer. Sous des atours ludiques, derrière des scénographies minimalistes mais colorées, le déséquilibre point bel et bien mais se niche dans le détail. « On m’a parfois reproché de rester dans le contrôle alors que j’abordais, justement, la perte de contrôle. Mais pourquoi faudrait-il jouer la frénésie ? La folie est parfois très paisible : des amis m’ont un jour décrit cet homme dérangé qui, un jour, s’est dévêtu puis assis en pleine route, calmement. Il ne courait pas en hurlant. » Et Genevieve en connaît un rayon en matière de santé mentale, elle qui a grandi avec un frère autiste, une grand-mère Alzheimer, et souffrait elle-même d’anxiété et d’anorexie. « Cela a parfois produit des situations délirantes, bien que douloureuses, mais dont on arrivait malgré tout à rire en famille. »
L’humour tout comme l’anecdote et le loufoque sont les carburants du travail de Murphy – qui rappelle les concerts performés de David Byrne ou ceux de Holly Herndon. En 2020, I Don’t Want to Be an Individual All on My Own prenait comme point de départ la célébration des neuf ans de l’artiste ; en 2018, Something in This Universe se jouait des troubles obsessionnels compulsifs – en pleine cuisine. Aujourd’hui, la compositrice de formation laisse de côté le théâtre et renoue avec la chose musicale. « Suis-je capable de raconter une histoire dans un concert standard où les gens sont debout et peuvent se prendre une bière ? » Cela sera aussi l’occasion de renouer avec la cornemuse. « C’est un instrument très connoté culturellement, on s’attend tout de suite à entendre “Scotland the Brave”. Quoi que j’en fasse, ça refera surface. Mais que se passe-t-il si d’autres instruments le rejoignent et l’imitent ? Peut-il devenir autre chose ? » Pour le savoir, ce nouveau concert narré (à découvrir au festival Musica à Strasbourg) s’est fixé un programme contenu dans son titre : Together We Feel And Alone We Experience.
Together We Feel and Alone We Experience de Genevieve Murphy, a été présenté le jeudi 26 septembre dans le cadre du Festival Musica au Maillon, Strasbourg
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