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Jeudi matin, pour l'inauguration du festival Montpellier Danse, un grand panneau dans l'entrée des locaux de cette manifestation donnait le programme des spectacles et rencontres de la journée, exactement comme si rien de particulier ne se passait. Comme si on ne se trouvait pas en pleine grève nationale des professions du spectacle.
Mais bien vite la conférence de presse quotidienne y venait. Jean-Paul Montanari, directeur de la manifestation, formulait quelques remarques acides en direction des membres de la coordination Culture en danger, menant la mobilisation: «Nous sommes bien ici entre nous, en famille, alors que le MEDEF n'en a strictement rien à faire que les spectacles de Montpellier Danse, que vous voulez empêcher, aient lieu ou pas. Pendant ce temps, l'entreprise du président départemental de cet organisme patronal tourne aujourd'hui le plus normalement du monde. Et ce soir au Zénith, le spectacle privé, The lords of the dance, va pouvoir se dérouler le plus normalement du monde, tandis que ce sont les spectacles du service public de la culture qui seront pénalisés. Il y a quelque chose qui cloche. Je vous invite à sortir de votre camp retranché, de cette angoisse qui vous conduit à retourner contre vous la violence qui vous est faite, et à organiser votre enterrement de première classe».
Arguments retournés par le comédien Marc Baylet ou le metteur en scène Gherard Bauer: «En effet, il faut qu'aujourd'hui, à Montpellier comme ailleurs, soit une journée de culture morte. En effet Montpellier Danse est une plate-forme internationale dont la résonance nous intéresse au premier plan. Et, dans cette période exceptionnellement grave pour tout l'avenir de la culture, nous espérions un engagement solidaire beaucoup plus fort de la part du festival lui-même. Vous restez dans votre cocon institutionnel bien confortable, mais les précaires seront, eux, tout à l'heure, dans la rue. C'est une grève générale, pas un petit truc ghetto entre nous. En quoi le domaine du spectacle serait si particulier qu'il devrait s'abstenir de recourir à ce droit fondamental?».
Un millier de personnes se sont donc retrouvées en manifestation, entrecoupée de die-in devant divers hauts lieux culturels de la ville. Journée chaude, brûlante, caniculaire, notamment lorsqu'une escouade de CRS se mit à inonder les populeuses terrasses de la Comédie sous une pluie de grenades lacrymogènes, pour défier une poignée de manifestants pro-Bové désireux d'empêcher le va-et-vient des tramways. Surchauffe aussi, et au même moment, dans l'enceinte du conseil municipal où le maire (PS) Georges Frêche, faisait voter une motion de soutien aux intermittents du spectacle tout en s'emportant soudain: «S'ils empêchent le déroulement normal de l'ouverture du festival Montpellier Danse, c'en sera fini des intermittents à Montpellier, nous disposons de la force de frappe pour créer un corps permanent de techniciens du spectacle actifs dans les principales manifestations et établissements culturels de l'agglomération.»
Et de foncer vers le lieu de la représentation, pour s'assurer que le spectacle de Teshigawara se ferait coûte que coûte, alors même que le directeur du festival s'était résigné à son annulation, et l'avait même annoncée sur les écrans de France 3, malgré les 200 000 francs de manque à gagner, et le coup symbolique d'un spectacle de prestige unique en France, impossible à déplacer sur une autre date...
Colère montante du côté des intermittents, apprenant que les grévistes au Corum s'étaient vus adresser des menaces verbales de licenciement immédiat s'ils n'obtempéraient pas devant la colère noire du Premier magistrat... socialiste. Celui-ci ne cessant de demander pourquoi ces militants ne sont pas capables de trouver le chemin des locaux du MEDEF ou des permanences des députés UMP pour y mener leurs actions. Mais un lourd et sourd contentieux paraît s'être accumulé entre l'état-major des vaisseaux amiraux de la vie culturelle montpelliéraine et la piétaille des artistes des petites compagnies, et autres précaires de la culture.
C'est donc sous les cris de «Frêche, MEDEF, même combat» que les candidats spectateurs de Montpellier Danse se sont vus barrer l'accès à ce spectacle. Très nerveux, le maire s'occupait alors personnellement de faire évacuer les quelques grappes de spectateurs précédemment entrés dans la salle. Et la soirée se concluait symboliquement au domaine de Grammont: tous accès clos, les invités les plus rapprochés de la municipalité sauvegardaient au moins leur repas inaugural sous le cèdre du parc, tandis qu'à deux pas, le Zénith regorgeait des spectateurs de Lords of the dance, se déroulant le plus normalement du monde.
Pour les intermittents, réactifs, nombreux et efficaces, le bilan de la journée paraissait positif.
Mais, sous le coup des accords signés dans la nuit à Paris, le mouvement révélait ses faiblesses dès le lendemain matin. Choquée, l'assemblée générale se perdait d'abord dans un interminable examen des moindres détails techniques des innovations introduites. Après quoi, certains militants ne cachaient pas que le projet frêchien d'un corps permanent de techniciens les séduisait, au nom de la réduction de la précarité. Des porte-parole du mouvement, parmi les plus carrés et les plus efficaces, notamment des responsables syndicaux CGT, opposaient des bémols aux projets de reconduction de la grève, soit dans l'attente de consignes venues de Paris, soit en agitant le risque que les intermittents perdent, en pleine période de suractivité de l'été, l'opportunité d'effectuer leurs fameuses 507 heures. Le ton conciliant adopté par Jean-Paul Montanari à propos des menaces de sanction proférées la veille contribuait aussi à ramollir certaines déterminations.
Enfin, un artiste tel qu'Alain Buffard se disait prêt à annuler son spectacle, aussi bien au nom du combat des intermittents, qu'en signe de dénonciation des comportements de la direction du festival et de la municipalité montpelliéraine la veille, tout en indiquant que cette décision serait, pour sa compagnie, suicidaire. Quant à la chorégraphe Michèle Murray, elle avait le courage de venir signaler à l'assemblée générale son intention de donner sa pièce, convaincue qu'elle n'aurait pas de si tôt l'occasion de bénéficier de l'impact professionnel et médiatique de sa programmation à l'affiche de Montpellier Danse.`
Le hip-hoppeur Kader Attou proposait le maintien des spectacles avec des formes d'actions symboliques, telles que l'absence de lumière ou de musique, se faisant aussitôt rétorquer par les techniciens: «Mais pourquoi pas sans danseurs?» La division de fait entre artistes et techniciens, quoique sourde et peu dite au nom d'un désir d'unité de façade, réapparaissait par ces voies détournées. Après avoir douté de sa légitimité même à en décider, et en l'absence désolante de propositions d'action plus stimulantes et inventives, et alors que les rangs se clairsemaient dangereusement, un vote donnait 93 voix en faveur de la reconduction de la grève ce jour-là, 31 contre et 26 abstentions. On a connu plus franche mobilisation. Et chaque équipe, salle par salle, était renvoyée à sa propre autonomie de décision.
Dès 15 h 30 aujourd'hui, le spectacle de Michèle Murray se déroulait normalement, en rattrapage de celui annulé la veille. Mais d'autres spectacles de la soirée semblent compromis.

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