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Jean-Jacques Aillagon est sans doute bien inspiré, comme il vient de l'annoncer à l'AFP, d'annuler ses déplacements prévus à Strasbourg, Nantes et Avignon pour le 20e anniversaire des Fonds régionaux d'art contemporain: les intermittents du spectacle risquaient fort de lui gâcher le voyage, alors que s'ouvre ce jeudi 26 juin, le dernier round des négociations entre partenaires sociaux sur les annexes 8 et 10 de l'Unedic. A Paris comme en régions, le mouvement des intermittents n'a pas faibli ces dernières semaines. Et à l'heure où le Medef retrouvera les organisations syndicales, une manifestation nationale, que l'on souhaite puissante, s'ébranlera à 16 h 30 de la place des Invalides pour rejoindre le siège de l'organisation patronale, avenue Pierre 1er de Serbie.
A l'issue des trois premières journées de négociation, les 3, 6 et 11 juin, le Medef est resté bloqué sur d'hallucinantes propositions: pour avoir droit à une indemnisation chômage (à un taux qui serait lui-même fortement réduit), les intermittents devraient justifier de 507 heures travaillées sur 9 mois (au lieu de 12 mois actuellement), ce qui n'ouvrirait plus droit qu'à 6 mois d'indemnisation (au lieu de 12 mois actuellement). De telles dispositions éjecteraient du système 50 à 70 % d'intermittents, renvoyés vers le Revenu Minimum d'Activité! Face à une telle énormité, le front syndical est pourtant divisé. S'il est exclu que la CGT paraphe un accord sur des bases aussi régressives, s'il semble que Force Ouvrière soit peu ou prou sur la même longueur d'ondes, la CGC et la CFTC semble disposées à négocier des aménagements, en revoyant notamment à la baise la liste des métiers qui seraient ouverts au régime de l'intermittence. Quant à la CFDT, qui assure actuellement la présidence de l'Unedic, sa position est pour le moins ambiguë. Dans un communiqué de presse du 24 juin, la confédération de François Chérèque lance un péremptoire «Intermittents du spectacle: Pas question de mettre en cause l'indemnisation du chômage». Le hic, c'est que le texte de ce communiqué dément fortement ce titre plutôt rassurant. L'argument de la CFDT est simple: le «déficit» des annexes 8 et 10 (800 millions d'euros en 2002) est tel que «si rien n'est fait pour redresser la situation, le régime spécifique sera condamné à disparaître». Reste à savoir, pour «sauver le malade» aux yeux de la CFDT, quelle doit être l'amputation!
Dans un entretien au Monde, ce jeudi 26 juin , le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, reprend cet argument du «déficit»: «N'oublions pas que l'intermittence, dont relèvent près de 100.000 salariés, génère à elle seule près du quart du déficit de l'Unedic». Or cet argument, à première vue incontournable, est totalement erroné. D'une part, les chiffres fournis par l'Unedic sont en eux-mêmes contestables: ils ne prennent en considération ni les cotisations des personnels permanents des entreprises artistiques et culturelles, ni même celles des salariés intermittents qui, faute d'atteindre les fatidiques 507 heures, ne sont pas indemnisés! D'autre part, et surtout, l'accusation faite au régime de l'intermittence, qui serait à lui seul responsable d'un quart du déficit de l'Unedic, ne tient pas la route. En 2000 et 2001, alors que le régime de l'intermittence était déjà fortement déficitaire (si l'on suit cette logique), les comptes de l'UNEDIC étaient globalement excédentaires de 1,3 milliard d'euros (en 2000) et de 21,7 millions d'euros (en 2001)! De l'aveu même de l'UNEDIC, «le ralentissement de l'activité économique observé en 2001 et son aggravation en 2002 ont des effets marqués sur le marché du travail et un impact fort sur les recettes (cotisations employeurs / salariés et les dépenses (allocations) de l'Assurance Chômage. En d'autres termes, c'est bien la multiplication des plans sociaux et l'augmentation du nombre de chômeurs qui précipitent les comptes de l'UNEDIC dans le rouge. Et les intermittents n'y sont pas pour grand chose...
Nonobstant cette évidence, la CFDT peut aujourd'hui tranquillement écrire (communiqué de presse du 24 juin): «La survie actuelle [du régime spécifique de l'intermittence] est assurée par les cotisations assurance-chômage des entreprises et salariés des secteurs de l'industrie et du commerce et une telle situation, même au nom d'une solidarité interprofessionnelle généreuse ne peut plus durer. Le régime d'assurance-chômage n'a pas vocation à financer la politique culturelle de notre pays». Il faut peser tous les mots de ces phrases. Qu'une grande centrale ouvrière, qui fut dans les années 70 et 80 le fleuron d'une «nouvelle gauche» émancipatrice, en vienne aujourd'hui à exprimer de façon à peine voilée une telle haine de la culture; voilà qui en dit plus long que bien des analyses socio-politiques sur le vote Front national à la dernière élection présidentielle! Si la culture cesse à ce point d'être perçue et défendue comme un vecteur de cohésion sociale, c'est dire que nous n'en sommes qu'à l'aube de régressions bien plus graves.
A vrai dire, cette attitude outrageante de la CFDT ne surprendra pas ceux qui ont suivi de près les négociations de décembre 2002 sur le régime de l'assurance-chômage: le Medef et la CFDT s'y sont entendus comme larrons en foire pour faire porter sur les chômeurs et les déjà précaires l'essentiel du «redressement financier» de l'UNEDIC: baisse drastique des durées d'indemnisation, durcissement des conditions pour avoir droit aux indemnités de chômage. A court terme, ce sont plus de 800.000 chômeurs, déjà parmi les plus fragilisés, qui vont devoir pointer au Revenu Minimum d'Activité! C'est évidemment un calcul à courte vue: la précarisation croissante de l'emploi induit nécessairement une baisse des cotisations perçues par l'Unedic, donc encore moins de capacité à indemniser les déjà futurs chômeurs. On est loin du «progrès social» vanté par la CFDT.
A l'évidence, cette politique mène droit dans le mur! En un sens, selon la vision qui est la sienne, la CFDT a raison de s'en prendre aussi frontalement, à travers le régime de l'intermittence, à «la politique culturelle de notre pays». Car une politique culturelle, ce n'est pas seulement une politique culturelle, mais aussi un projet de civilisation. La manifestation de ce 26 juin, derrière l'objet immédiat de préserver un régime d'intermittence digne de ce nom, a une toute autre importance. Loin de s'arc-bouter sur un «régime spécifique», il s'agit bel et bien de faire entendre le droit à des valeurs (de création, de travail, de dignité, de culture) qui ne soient pas réductibles aux seules valeurs de la rentabilité financière et de l'enrichissement de quelques-uns au détriment de tous les autres. Derrière la bataille comptable des chiffres, à laquelle, à part les intermittents eux-mêmes, personne ne comprend goutte, tel est l'enjeu essentiel de la négociation d'aujourd'hui. Qui le perçoit? Alors, manifestons-nous!

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