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La journée nationale de grève des intermittents du spectacle a été très largement suivie, mardi 25 février, à l'appel de la fédération CGT du spectacle vivant. A Paris, devant l'Opéra Bastille barré d'une banderole «Opéra en grève», 30.000 manifestants (8.500 selon la police) se sont rassemblés en fin d'après-midi avant de se diriger vers l'Olympia. En solidarité avec le mouvement des intermittents, la plupart des théâtres de la région parisienne se sont mis en grève et n'ont pas joué mardi soir. Une dizaine de théâtres privés de la capitale ont fait de même. En région, des manifestations ont eu lieu un peu partout, de Marseille (où tous les théâtres étaient fermés) à Brest.
Cette très forte mobilisation intervient alors que le régime d'indemnisation chômage des intermittents du spectacle et de l'audiovisuel est à nouveau sur la sellette. Ce n'est pas la première fois, mais l'inquiétude est cette fois-ci à la hauteur des intentions affichées par le Medef, de démanteler en partie ou en totalité ce système spécifique qui date de 1969. Une énorme hypocrisie entoure ce dossier. Selon l'Unedic, le déficit du régime d'assurance chômage des professions du spectacle s'élèverait à 753,5 millions d'euros pour 96.000 allocataires. Par nature, ce régime restera toujours déficitaire; mais pourquoi s'abstient-on de mettre en face, au titre des recettes, les cotisations que versent les personnels permanents des entreprises artistiques et culturelles? Si l'on veut rester dans une logique strictement corporatiste, il faudrait alors beaucoup relativiser le déficit dont on taxe le régime des intermittents !
Seconde hypocrisie : il est désormais reconnu, et par le ministre de la Culture lui-même, que des abus dans le recours au régime de l'intermittence, notamment de la part d'entreprises du secteur audiovisuel, sont largement responsables de l'inflation du nombre d'intermittents et donc, du déficit actuel. Même des entreprises du secteur public sont concernées. On découvrait ainsi, à la lecture d'un témoignage publié dans Libération que des étudiants, engagés comme standardistes sur certaines émissions de France Inter, sont déclarés en tant qu'intermittents! Mais lorsque le ministère de la Culture évoque ces «abus» à «éradiquer», il fait surtout porter le chapeau aux intermittents eux-mêmes, qui seraient coupables de tricher en se faisant faire de faux cachets afin d'atteindre le nombre d'heures requis (507) pour ouvrir leurs droits au chômage. Certains intermittents, en effet, doivent en passer par là, tant il devient difficile dans certains secteurs, d'arriver aux 507 heures déclarées.
On touche là une troisième hypocrisie du dossier. Si ces abus existent (ce qui, de toute manière, ne saurait être l'explication principale du déficit du régime tout entier), ne les doit-on pas à une précarisation accrue des conditions de la création artistique, de sa production et de sa diffusion, qui oblige ici comme ailleurs à «resserrer les coûts»: on a bien entendu, dans un passé pas si lointain, une responsable du ministère de la Culture avancer que les compagnies et les lieux de création devaient faire des «gains de productivité».
Le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, a été souvent conspué lors des manifestations du 25 février. S'il a, dans l'entretien qu'il a accordé à Mouvement (n° 20, janvier-février 2003), clairement affirmé que «le ministre de la Culture ne pourrait pas cautionner l'abandon d'un régime spécifique à l'Unedic pour les professionnels du spectacle vivant»; s'il a redit cette position dans une tribune publiée le 25 février par Libération; Jean-Jacques Aillagon refuse d'engager véritablement le gouvernement dans ce débat, en appelant in fine à «l'ouverture de discussions entre partenaires sociaux». Sur quelles bases? Celle du rapport commandé à deux inspecteurs des ministères de la Culture et des Affaires sociales, qui préconise certes de maintenir un régime spécifique, mais avec des dispositions qui en réduiraient singulièrement la portée et qui en écarteraient de nombreux allocataires actuels.
De plus, Jean-Jacques Aillagon tient apparemment un double discours: s'il écrit dans Libération que «l'existence de ce dispositif n'est pas étrangère à la vitalité de le création dans notre pays, et elle a permis le formidable essor de collectifs d'artistes en dehors des institutions. Je pense au tissu de compagnies dramatiques, sans doute unique au monde, qui irrigue notre territoire»; Jean Voiron accuse le ministre d'avoir déclaré «en substance» lors de la réunion du Conseil national es professions du spectacle, qu'il y aurait en France, «trop de compagnies, trop d'artistes et trop d'intermittents qui produisent parfois des spectacles médiocres. Tout cela coûte très cher»!
Comme le rappelle l'auteur et metteur en scène Christophe Huysman (Libération, 25 février), le vrai débat est finalement celui de la place de a culture et de l'art: «La culture n'est pas un renouvellement mais une histoire. Il faut dès à présent que les artistes, les politiques et l'ensemble des décideurs se rencontrent pour définir la place de l'art d'aujourd'hui.» Avec ce gouvernement ultra-libéral, on est loin du compte! Sous son apparente rondeur bonhomme, Jean-Pierre Raffarin tient en fait le même discours que l'animatrice du Maillon faible!
Un seul rappel, pour finir: même sans discuter le montant estimé de 753,5 millions d'euros qu'atteindrait le déficit du régime des intermittents, il est instructif de mettre ce chiffre en rapport avec les 2,5 milliards d'euros que l'Etat n'engrangera pas après avoir «allégé» en 2002 (pas pour tout le monde) l'impôt sur le revenu; ou encore avec les 1,05 milliards d'euros consentis sur la baisse des charges patronales en 2003. Ce sont là des choix de société, non?

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