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Retenir ou détruire

« Rien ne se perd tout se transforme », comme l’a écrit le chimiste-philosophe Antoine Lavoisier l’année de la Révolution française. Chez Thomas Garnier, c’est plutôt : « rien ne se bâti, tout se ruine ». Architecte de formation, il invente une maquette à deux niveaux : à l’étage supérieur, une micro-ville, faite de bâtonnets en aluminium et béton fibré, qui s’autogénère grâce à un automate constructeur. En-dessous, l’envers du décor : un empilement de décombres, restes des écroulements du dessus. Si cette installation est titrée Cénotaphe – désigne un tombeau vide de corps –, c’est pour souligner l’absurdité des villes-champignons, ces agglomérations apparues au gré des opportunités économiques, puis abandonnées aussi vites qu’elles ont été construites.

 

Thomas Garnier, Cénotaphe, 2018


Toutefois, et en dépit de ce grand gaspillage de matière, certains s’obstinent à sauver la bâtisse. Tête contre tête, deux performeurs pèsent l’un sur l’autre, de tout leur poids. Entre eux, un parpaing gris, que seule la pression de leurs deux boîtes crâniennes empêche de tomber. Les deux corps paraissent ne faire qu’un : une seule et même sculpture vivante, un seul arc-boutant, un seul effort musculaire pour éviter l’écroulement. Toujours à la limite de l’effondrement, Claude Cattelain défie la gravité en même temps que nos fragilités. Fils d’architecte, il préfère ce qui est sur le point de se casser la gueule à ce qui tient trop bien debout. Ytong – du nom d’une firme suédoise spécialisée dans la production de blocs de bétons – reprend le principe d’une de ses précédentes performance-vidéo, dans laquelle il déjouait les lois de la physique en solitaire, poussant 3 blocs de béton contre un mur pour éviter leur chute. Comme s’il s’était décidé depuis à ne plus porter seul le poids du monde… 

 

Claude Cattelain, Ytong, © D.R.

 

L’embrasement avant la renaissance 

Le 15 avril 2019 au soir, tous les écrans retransmettent la même image : Notre-Dame de Paris est en feu. Quoi de mieux que l’embrasement d’une flèche culminant à 93 mètres de haut, pont communicant entre le ciel et la terre, pour se donner des idées d’apocalypse ? Bien consciente du potentiel collapsologique du feu, Renaud Auguste-Dormeuil observe son effet renforcé quand il s’attaque aux symboles du pouvoir, comme l’incendie du château Windsor la nuit du 20 novembre 1992, la résidence officielle de la reine d’Angleterre. L’artiste ancre ces bâtiments dans de petits formats (une vingtaine de centimètres de long pour une dizaine de hauteur) imitant des représentations d’époque – allant de la gravure type Ancien Régime aux miniatures à l’huile façon impressionnisme. Ainsi, c’est dans une Rouen de fin de XIXe siècle que flambe l’usine Lubrizol… comme si d’anciens peintres avaient anticipé le futur. Plutôt que de réactualiser sans fin le présent avec des images de smartphones, le plasticien préfère leur donner une éternité immédiate en les envoyant dans le passé, dramatisant encore plus ces évènements, et les paniques collectives qui les accompagnent. 


Renaud Auguste-Dormeuil, D’après nature #1, Notre-Dame, 2020 © RAD


Le feu effraie car il fait table rase, mais pour cette même raison, il est prédicateur de grands recommencements. Sur un tirage aux bords grignotés par les braises, Sébastien Reuzé saisit un ex-soldat de l’US Air Force au bord d’une piscine. Va-t-il y plonger tout habillé pour ne plus jamais en ressortir ? Ou rester au bord, statique, se contentant de se noyer en lui-même ? Dans la série Colorblind Sands, qui suit les dérives psychologiques d’un militaire, le cramage de la pellicule devient la seule solution aux désastres latents. 

 


> Les Heures Sauvages du 10 au 19 juin au Centre Wallonie-Bruxelles, Paris

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