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Avec Pode Ser, puis le duo C’est toi qu’on adore et enfin un nouveau solo en cours de création Se faire la belle, vous construisez un triptyque sur nos désordres intérieurs. Pourquoi avoir choisi de creuser en profondeur cette thématique ?


« Je travaille de manière intuitive, je ne prémédite pas grand-chose et je n’avais pas prévu de faire une trilogie, c’est arrivé par la force des choses. Je pense qu’il y a chez moi une question qui n’est pas résolue autour de ce thème. Je mets toujours en scène des individus animés par un désir de liberté, ils peuvent être empêchés mais tentent de s’émanciper de ce qui les oppresse. Quand j’ai commencé la troisième pièce, j’ai remarqué que c’était à nouveau le même sujet qui me travaillait. Il semble que j’ai besoin de faire et refaire les choses pour terminer un cycle.

 

C’est toi qu’on adore est un duo parmi vos deux solos. Comment passe-t-on d’un seul à deux corps ?


« Je suis quelqu’un d’assez timide et solitaire, je trouve ça compliqué de ramener quelqu’un dans son univers. Pour la création, j’ai été confrontée à certaines difficultés : je n’étais pas toujours à l’aise, pas très claire dans ma manière de transmettre, pas assez directive… Mais j’ai beaucoup appris. J’avais envie de faire groupe, on est deux comme une communauté minimale qui joue sur les unissons et désunions. Je voulais voir ce que mes chorégraphies donnaient à « plus que moi-même » car habituellement je travaille seule, je me filme beaucoup et je fais des montages vidéo pour me dédoubler.

 

Le médium de la danse permet de se raconter sans les mots. Quelle relation entretenez-vous avec le langage ?


« Je trouve ça plus simple de raconter ces états intérieurs sans utiliser de mots. Les mots, ça me fragilise, c’est hyper intime et très intimidant. Lorsque je danse, je peux tout dire de manière très claire pour moi-même tout en sachant que le public ne pourra pas lire exactement ce que je raconte : une peine de cœur, une terreur… Pode Ser a par exemple trois facettes : un individu apeuré comme une petite fille, une femme consciente de son corps, qui joue de ce qu’elle peut dégager, et une guerrière, très énervée qui a envie de tout envoyer valser. Je joue à passer de l’une à l’autre continuellement. Ces archétypes définissent l’écart entre ce qu’on doit être, ce qu’on rêve d’être, et qui on est réellement. Plus les distances entre ces états sont grandes, moins on est bien. Mais lorsqu’on parvient à les réduire, peut-être qu’on se sent alors un peu plus soi.


 


 

Vous êtes une interprète et chorégraphe autodidacte, par quelle porte êtes-vous entrée dans la danse contemporaine ?


« Je ne suis jamais passée par un cursus académique ou de grandes écoles. Étant plus jeune j’ai fait pas mal de théâtre d’improvisation et du théâtre sans parole, ce qui se rapprochait un peu de la danse, du mime ou du clown. Dès que ça ne parlait pas, j’adorais ça ! J’ai ensuite commencé la danse Hip-hop. Dans ma ville, on s’entraînait avec un petit groupe de personnes puis j’ai regardé beaucoup de vidéos que je reproduisais. À un moment donné, j’ai aussi pratiqué des danses de couple, salsa, bachata, forró, etc. Toutes sortes de danses de rue, populaires et festives. Un jour, j’ai vu passer une annonce pour la reprise de la pièce May B de Maguy Marin pour un groupe de jeunes danseurs. J’ai postulé mais je n’avais aucune base ni en danse contemporaine ni en classique. À l’audition, je voyais des danseurs faire des grand-écarts, je me suis dit : « Ça ne va pas marcher ».

 

Pode Ser est votre première création, très remarquée sur la scène chorégraphique. Depuis vous l’avez dansée près de cent fois. Comment ce solo est-il né ? 


« Cette audition, je l’ai finalement réussie. Ce que j’aime particulièrement dans cette pièce phare, c’est sa théâtralité mais aussi ces petits personnages qui sont animés de l’intérieur. Innocemment et presque naïvement, je me suis dit que je pouvais moi aussi essayer de faire quelque chose. Alors j’ai commencé à travailler sur le plateau d’un petit théâtre privé de Saint-Nazaire, là où j’ai grandi. Le gérant me passait les clés et je débarquais là, toute seule avec ma caméra. J’avais déjà cette robe rose que je porte dans le solo et à un moment donné j’ai trouvé une position de bras regroupés contre mon corps. Ce geste donne la sensation d’être enfermée, prisonnière de quelque chose et de ne pas pouvoir se déployer. J’ai gardé cette contrainte pour chorégraphier Pode Ser. Le titre de ce solo signifie « Peut-être » en Portugais, c’est un clin d’œil à May B. C’est aussi un hommage à un ancien danseur du chorégraphe Bruno Beltrao et à la petite communauté de personnes lusophones avec qui je m’entrainais à Saint-Nazaire. Je tourne ce solo depuis trois ans déjà et je suis toujours surprise de voir que ça plait, que beaucoup de personnes, surtout des adolescentes, s’identifient à mon personnage de jeune femme qui n’arrive pas à trouver sa place et qui se bat avec elle-même. Moi, j’ai toujours peur de déranger, c’est pour ça que j’ai fait un solo court comme pour dire : « Écoutez-moi, mais promis, ça ne durera pas longtemps. »

 

Comment imaginez-vous ce nouveau solo Se faire la belle, sur lequel vous travaillez actuellement ?


« Dans Se faire la belle, mon personnage essaie toujours de reprendre la main sur son existence, mais il est un peu moins sage et un peu plus rebelle que dans mes deux premières pièces. J’aimerai qu’il soit insolent, qu’il puisse provoquer ce qui vient l’empêcher. Cet individu-là est en chemise de nuit, un vêtement de coton assez ancien qui bouge bien avec le corps et invoque plein de références : les femmes de Charcot en camisoles, quelque chose de très enfantin par l’amplitude du tissu qui vient masquer les formes, ou une petite vieille. Surtout, on peut imaginer que la scène se passe la nuit, dans l’intimité du domicile, à un moment où l’obscurité vient altérer nos perceptions. La nuit ouvre un espace nouveau où les codes sociaux et les hiérarchies sont bousculés. La nuit, on devient invisible, on échappe aux regards, on peut voir sans être vus et peut-être, devenir quelqu’un d’autre. »



> Pode Ser, C’est toi qu’on adore et Se faire la belle de Leïla Ka : 21 et 22 janvier au Théâtre de Suresnes dans le cadre du festival Cités Danse ; 21 mars, Théâtre de Saint-Nazaire. 

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