Pour célébrer les premières Noces de la saison, le Ballet de l’Opéra national du Rhin explore les modèles du genre. Dans ce diptyque en miroir, la compagnie rhénane unit Les Noces, création d’Hélène Blackburn pour dix femmes et un homme, et Nous ne cesserons pas, recréation de Bruno Bouché pour six hommes et une femme. Mais cette deuxième pièce, qui ouvre la soirée, rassemble avant tout sept silhouettes vêtues de la même combinaison beige et un pianiste, Tanguy de Williencourt. Alors qu’il joue les premières notes de la Sonate pour piano en si mineur de Franz Liszt sur un piano de concert à jardin, les interprètes glissent un à un sous l’instrument. En fond de scène, une échelle pyramidale s’élève jusque dans les cintres du théâtre. Cette vision, évoquant le songe de Jacob au livre de la Genèse, entraîne les corps dans un va-et-vient entre désir d’ascension et tourbillon d’ici-bas.
Suivant les méandres de la partition, la pièce de Bruno Bouché atteint une remarquable cohérence musico-chorégraphique. Aux cavalcades impétueuses de notes répondent les pirouettes, arabesques et ports de bras, enchaînés façon dominos, vagues ou canons. Dans les instants de calme, où la mélodie allie sobriété et sensibilité, des rondes se dessinent dans une ambiance tamisée. La danse la plus captivante est celle déployée par Tanguy de Williencourt, caressant du bout de ses doigts les touches du piano tout en laissant parfois son bras léger suspendu en vol. En contrepoint, la chorégraphie avance à pas timides. Outre quelques esquisses de duos masculins, elle multiplie les portés où Brett Fukuda, seule danseuse de l’ensemble – qui domine la pièce par son talent – passe entre les bras de ses partenaires hommes. Si cette configuration correspond aux schémas hérités du ballet, elle s’en démarque en plaçant moins les interprètes dans une recherche de séduction que d’harmonie entre leurs corps. Une composition équilibrée à défaut d’être audacieuse.
Effet miroir
Retournement de situation avec Hélène Blackburn, qui orchestre Les Noces de dix femmes toutes vêtues de longues jupes fluides, sous le patronage de Bronislava Nijinska. Pas la peine d’y chercher de jeunes vierges tragiques comme dans les ballets romantiques – de Giselle à Odette dans Le Lac des cygnes. Ici le chœur de femmes déploie des mouvements minutieux sur les percussions d’Igor Stravinsky, superbement interprétées par le chœur et l’orchestre de la maison d’opéra. Surplombées par un lustre de bois, les danseuses font claquer leurs mains et frémir leurs doigts dans des gestes furtifs et saccadés, piétinant le sol du bout des pointes. Si leurs cheveux tressés en couronnes sont un clin d’œil évident à l’œuvre centenaire de la chorégraphe russe, leur port de tête fier et leur regard droit leurs donnent aussi des airs de bailaoras flamencas.
De nouveau, l’équilibre de la pièce bascule lorsqu’un danseur (Erwan Jeammot) apparaît en fond de scène et marche jusqu’au centre. Malgré sa supériorité numérique et sa fougue, le cortège se disperse et se recentre autour de l’unique figure masculine. L’attraction est d’autant plus flagrante dans le pas de deux entre « Elle » (Di He) et « Lui », où certains gestes traduisent des connotations sexuelles explicites. Si la femme ne semble pas soumise aux manipulations de son partenaire, elle n’en est pas moins ramenée à un schéma de séduction masculin-féminin. À leur suite, les danseuses revêtent des jupes teintées d’un rouge floral – évocation de la défloraison – qui bruissent sous leurs pas furieux. Malgré la vision frappante qui clôt Les Noces, la chorégraphie d’Hélène Blackburn ne transcende pas la partition magistrale d’Igor Stravinsky. Unie à la pièce de Bruno Bouché pour cette soirée de Noces, elle forme toutefois un mariage fécond pour penser les expressions de genre.
Noces de Hélène Blackburn et Bruno Bouché est présenté jusqu’au 20 octobre à l’Opéra national du Rhin, Strasbourg
→ le 12 octobre au Théâtre municipal de Colmar
→ les 18 et 20 octobre à La Filature – Mulhouse
Lire aussi
-
Chargement...