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C’est rassasié, voire au bord de l’indigestion, que l’on ressort de cette incursion dans les arcanes foisonnantes de la contre-culture et de l’agitprop. Il faut dire que les artistes programmés au LUFF ne cherchent pas à caresser le public dans le sens du poil et laissent peu de répit aux neurones. D’un workshop télépathique avec Robert Barry, pilier de l’art conceptuel des années 1960-70, à une rétrospective des films de Roberta Findlay, obscure réalisatrice de films d’exploitation, en passant par toutes sortes d’activistes de la noise et de l’avant-garde qui se succédaient à des heures indues, la programmation couvrait comme à son habitude un spectre très large.


Coït surréaliste


Deux cinéastes pornographiques étaient mis à l’honneur dans une programmation cinéma qui ne faisait pas dans la dentelle. Tout d’abord, une carte blanche à Stephen Sayadian, cultissime réalisateur de Cafe Flesh œuvrant pour l’industrie du X en plein boom du post-punk et de la new wave. Si ses midnight movies, très marqués par l’esthétique des années 1980, ont quelque peu vieillis, ils n’en demeurent pas moins des objets de curiosité. Stylisés en diable (Sayadian fut aussi un directeur artistique auquel on doit les affiches originales de Fog de John Carpenter et de Pulsions de Brian de Palma), ceux-là se distinguent par leurs scènes de coït surréalistes, sur des musiques signées Wall of Voodoo ou The Residents. Des films qui nourrissent avant tout une réflexion critique sur le consumérisme, affilié à une libido robotique et désincarnée.


Extrait de Cafe Flesh de Stephen Sayadian

Roberta Findlay s’est quant à elle illustrée principalement dans les années 1970-80, alors que l’industrie du X et les grind house battaient leur plein. Sans être des chefs-d’œuvre du septième art, ses films de cul tournés en 16mm avec les moyens du bord baignent dans une atmosphère curieusement mélancolique, malgré l’incongruité ou le comique involontaire des situations. Au-delà des gros plans de pénétrations, de cunnilingus et autres éjacs faciales, minimum syndical d’un porno, Findlay soigne surtout dans ses films les séquences intermédiaires, faisant émaner de ses cadrages et de ses éclairages en clair-obscur une forme de poésie kitsch et baroque. Excédant les notions de bon ou de mauvais goût, une section était également consacrée au cinéma camp, qui a fait de l’outrance et de l’artifice sa règle d’or. Si John Waters est devenu son plus illustre chef de file, c’est dans l’underground des années 1960 que s’invente ce cinéma rageusement queer. L’un des films les plus emblématiques est sans nul doute Thundercrack ! (1974) dont le scénario est signé George Kuchar. Un groupe d’automobilistes y trouvent refuge dans un manoir alors qu’une tempête fait rage et qu’un gorille déchaîné s’est échappé d’un zoo. Le film détourne avec force exagération les codes du mélodrame hollywoodien et de l’épouvante gothique, versant dans une farce grotesque émaillée de séquences porno.


SOS Extraterrestria (1993) de Mara Mattuschka


L’artiste bulgare Mara Mattuschka, figure-clé de l’activisme féministe, était également de la partie. Peintre, performeuse, chanteuse et cinéaste, ses films ont trop rarement été montrés, à l’exception de quelques festivals de cinéma. Celle dont Peter Tscherkassky disait qu’elle transformait l’exhibitionnisme en art en a pourtant réalisé plus d’une quarantaine. De Loading Ludwig (1989), « monument allographique » consacré au philosophe Wittgenstein jusqu’à Phaidros (2018), monument de queer décadent autrichien, cette anti-diva apparaît comme une sorte d’alter-ego underground de Werner Schroeter qui aurait fusionné avec Cindy Sherman.


Bosquet de chardons

 

Le LUFF offrait aussi la chance de découvrir sur grand écran un documentaire sur la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est. Les amateurs de post-punk, de noise, de synthwave ou de garage-punk déviant ont tous un jour croisé la route d’un mystérieux logo en forme de croix à trois branches, que ce soit dans les toilettes d’un bar ou sur une pochette de disque. Partant d’une private joke entre protagonistes de la scène souterraine de Metz et de Strasbourg, cette parodie de secte s’est disséminée jusqu’en Italie. La Triple Alliance, ce sont des dizaines de groupes DIY consanguins, tous plus branques et improbables les uns que les autres, où la créativité et la spontanéité suffisent à pallier à l’incompétence technique : A.H. Kraken, Plastobéton, Crack und Ultra Eczema, Scorpion Violente, Noir Boy George, The Dreams, The Normals, Le Chômage, Cachette à Branlette, Les Morts vont bien, SIDA, Maria Violenza… 


photo : Andrea Forget


C’est tout un pan du post-punk français, expérimental sans se prendre au sérieux, qui renaît ici de ses cendres (Lire l’article Salut c’est pas cool, publié dans le numéro 83 de Mouvement). Co-réalisé par Nicolas Drol et Guillaume Marietta, figure centrale de la scène avec ses groupes A.H. Kraken et The Feeling of Love, le film est monté avec un vrai sens du rythme et pullule d’archives de concerts et de flyers. Surtout, il vibre d’une joie et d’une énergie contagieuse malgré les disparitions de proches et donne envie de se précipiter pour monter un groupe sans la moindre ambition commerciale.


Texte : Julien Bécourt

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