Pourquoi, depuis 2003, la France n’a plus souhaité participer au grand rassemblement de la scénographie mondiale, la quadriennale de design et d’architecture de Prague ? C’est la grande question à laquelle les scénographes Emmanuelle Gangloff et Carolina Santo essayent de répondre avec leur Fouille des vestiges de la scénographie française à Prague. Dans le parc entourant les colossales salles d’exposition de la quadriennale, à l’endroit même des vestiges de l’ancien pavillon belge qui a brûlé en 1991, les deux complices ont installé un véritable camp archéologique.
« S’il y a une réponse, elle doit se trouver dans le sable » disent-elles en accueillant les visiteurs et les artistes, chaque jour invités à enfiler la panoplie du parfait archéologue-enquêteur. Brosses, pinceaux, marteaux, piquets, quadrillage méthodique, numérotation des zones, petits matelas pour les genoux, tente de restauration et fond d’archives à disposition, l’illusion est parfaite. Mais les indices exhumés du sable apportent des réponses divergentes. Menace d’un nouvel incendie, différends politiques liés au communisme ? Nul ne saura trop pourquoi la France a boudé la foire. On murmure cependant que la réponse, la vraie, se trouverait dans un courrier perdu, émanant du ministère des affaires étrangères. C’est donc dans ce climat de mystère irrésolu - et entretenu par les deux scénographes - que cette année la France revient en force à Prague, pour la première fois depuis 15 ans, avec deux pavillons placés sous la houlette du metteur en scène Philippe Quesne. Retour qui sera d’ailleurs couronné du prix « pays et région » par le jury.
La scène et ses écosystèmes
Construit en 1891 à la fin de l’empire austro-hongrois dans un style art nouveau, le parc des expositions de Prague a quelque chose de grandiose et d’écrasant à la fois. Sa verrière de plus de 50 mètres de haut, ses ailes adjacentes dans lesquelles il est facile de se perdre et son parc qui s’étend comme une forêt à perte de vue, nous font sentir un peu petits. Mais cette démesure n'empêche pas d’explorer un à un les pavillons de près de 80 pays réunis pour exposer la fine fleur de la scénographie contemporaine.
Certains pays ont choisi le format du best-off, pour montrer, sous la forme de maquettes réelles ou en réalité virtuelle, ce qu’il ont fait de mieux dans le domaine. D’autres on fait le choix, plus radical, de donner carte blanche à un artiste pour porter l’étendard de son pays. Une œuvre unique, souvent immersive, s’offre comme un petit monde que l’on visite avec une curiosité enfantine. C’est cette option là qu’a choisi Philippe Quesne avec Microcosm.
Microcosm de Philippe Quesne p. Eva Kořínková
Dans l’espace imposé de 5 mètres sur 5, le metteur en scène a fait construire un vivarium de bois bordé de baies vitrées. Une boîte d’observation à l’image de celles qu’on retrouve sur scène dans beaucoup de ses spectacles. À l’intérieur, un fond verdâtre digne des marécages de Swamp Club, pose le décor. Le piano hanté de Crash Park échoué là on ne sait trop comment, joue seul des mélodies d’anciennes pièces. Au centre du cube, cinq créatures, des empilements de polystyrène, mousse, tissu, papier kraft et plastique. « Ce sont les matières qu’on utilise tous les jours pour travailler, c’est un peu le degré zéro du parfait décorateur. Comment écrire une partition pour ces matériaux oubliés ? » se demande le metteur en scène. Robotisés, les tas de matériaux entament en boucle une petite danse. On se surprend alors à s’attacher à chacun d’eux, à observer la carrure charpentée de l’un, les mouvements nerveux de l’autre ou à écouter le long crissement mélancolique du danseur de papier. Ce n’est que lorsque l’on fait le tour de la boîte que le tout prend une autre saveur : à l’arrière, des lettres capitales comme un cri, clignotent en néon blanc « No Nature, No Future ». Punk et écologique, le message est clair. Microcosm, pavillon zombie et écosystème sans performeurs, entre le songe et la matière, fait le voeux d’un théâtre qui, comme la nature, n’a pas besoin de l’humain pour exister.
À l’école de l’oisiveté
Du côté des pavillons des écoles, la France n’a pas voulu choisir un seul établissement d’enseignement supérieur mais a réunit tous les cursus usant du mot scénographie dans leur intitulé. Ce sont donc 8 étudiants de 8 écoles différentes, accompagnés par Philippe Quesne, qui se sont rencontrés pour fabriquer ensemble la Neuvième école, une école utopique, mobile, terre à terre, aux accents un peu hippie. Exit les vieilles recettes où le savoir se transmet verticalement par un professeur, les étudiants assis devant un bureau. À la place, c’est plutôt à une bande d’amis que nous avons affaire. Ils se sont imaginés à bord d’un camion, en perpétuel road-trip, pour glaner les pratiques et les savoirs là où ils se créent.
Leur futur en main, c’est donc rien de moins qu’un poids lourd que Bianca, Ariane, Camille, Estelle, Clothilde, Lucie, Scheherazade et Simon, ont présenté à Prague, au milieu de l’espace climatisé partagé par les écoles venues des quatre coins du monde. Ancien camion de marché destiné à la vente de fringues à bas prix, les étudiants ont donné au véhicule une seconde vie. L’intérieur, tapissé de matériaux récupérés dans les anciens spectacles de Philippe Quesne, se présente comme un estomac. « On l’a voulu vivant, il est rose et mou, c’est un espace de digestion des informations. Souvent les études nous laissent pas le temps d’absorber 100% des informations qu’on nous donne, beaucoup de savoirs se perdent » racontent t-ils. Dans leur école sans professeurs attitrés, la paresse et la décélération ont toute leur place. Les mousses fushia, confortables, attirent d’ailleurs tout au long de la journée bon nombre de spectateurs fatigués de leur visite.
la Neuvième école p. Eva Kořínková
Dans le camion, et ses alentours, les étudiants concoctent des animations qui n’ont comme seule limite leur capacité à se concerter. Projection de film, jeu de société, montage vidéo, récolte de rêves et témoignages, caméra embarquée dans les coulisses de la Quadriennale, grosse fête ou émission radio avec les autres écoles, ils absorbent comme des éponges ce qui se passe à Prague et continuent leur auto-apprentissage. Embarrassés par la question écologique d’un camion diesel super-polluant qu’il a fallu amener jusqu’à Prague puis transporter à Avignon où il continue sa course, les étudiants ont trouvé une parade dans un fonctionnement autonome, anti-gaspi, centré sur la récupération et le troc d’objets, de pratiques et de connaissances.
À Prague, faire le vœux d’une école sur roulettes ou rêver d’un théâtre post-humain laissé aux matériaux semble bâtir une même utopie : un monde dé-hiérarchisé, autonome et organique, où aucune autorité ne se donne la permission de contrôler, de fait, la biosphère ou les savoirs.
> La quadriennale de scénographie et de design et d’architecture théâtrale de Prague a eut lieu du 6 au 16 juin
> Douze heures de la scénographie. Retour(s) de la Quadriennale de Prague le 10 juin à la Maison Jean Vilar à Avignon
> Microcosm au Théâtre Nanterre-Amandiers durant la saison 2019-2020
Lire aussi
-
Chargement...